Titre : Celui qui est digne d’être aimé

Auteur : Abdellah Taïa
Littérature marocaine
Editeur : Seuil
Nombre de pages : 136
Date de parution : 5 janvier 2017

Celui qui est digne d’être aimé est un roman violent, fort sur la volonté et la possibilité de vivre dignement son identité de musulman homosexuel au Maroc ou en France.

Le récit est constitué de quatre lettres, trois sont écrites, la dernière ne le fut pas mais elle reflète la pensée de son auteur. Quatre lettres qui nous font remonter dans le temps ( août 2015, juillet 2010, Juillet 2005, Mai 1990) et nous donnent à comprendre le mal être d’Ahmed.

Ahmed a quinze ans en 1990, il vit à Salé dans un milieu pauvre. Sa mère voulait le tuer dans son ventre craignant d’enfanter une nouvelle fille. C’est la prémonition du frère aîné, le préféré qui l’arrêta. Est-ce pour cette raison qu’il sera homosexuel?
Un jeune garçon homosexuel au Maroc rêve de rencontrer un riche français qui le sortira de sa misère. Pour Ahmed, ce sera Emmanuel. Emmanuel qui va le « coloniser« , l’éduquer, l’amener à effacer toutes ses racines, à renier son identité.

La première lettre est celle d’Ahmed à Malika, sa mère morte en 2010. C’est une lettre de haine et de reproche.
 » J’ai 40 ans et je suis devenu un jaloux calculateur et froid. »
Pour l’adulte blessé qu’il est devenu, Malika n’était qu’une femme cruelle, autoritaire qui usait de ses charmes pour assujettir son mari, un brave homme ensorcelé par le sexe prêt à tout accepter pour un regard de sa femme.
 » Et malheureusement pour moi, je suis comme toi…Je suis froid et tranchant comme toi. Malin, calculateur, terrifiant parfois. Dans le cri, dans le pouvoir, dans la domination. Exactement comme toi. »

La seconde lettre est celle d’un amant à Ahmed. Vincent vient de découvrir ses racines marocaines. Dans le métro parisien, il tombe sous le charme d’Ahmed. Ahmed, l’homme qui emmènerai Les lettres portugaises dans la mort, un livre qui parle d’amour et d’abandon. Sombre prémonition.

Vient ensuite une lettre de rupture adressée à Emmanuel écrite en juillet 2005 par Ahmed. En treize ans de vie commune, Emmanuel a sorti Ahmed de son village, de son pays, il a fait son éducation mais il l’a aussi débaptisé, contraint à renier ses origines, à oublier sa culture. Comment ne pas faire le parallèle entre cet homme et le pays?
 » Confronté, tu ne cessais de te dérober, Emmanuel. Tu n’es ni un raciste ni un conservateur, tu votes toujours à gauche et tu ne caches rien aux impôts. Pourtant, tu n’as eu aucun scrupule à reproduire sur moi, dans mon corps, dans mon coeur, tout ce que la France refuse de voir : du néo-colonialisme. »

La dernière partie est sans aucun doute la poignante confession qui aide à comprendre le comportement torturé d’Ahmed.

Ce récit fortement inspiré de l’histoire de l’auteur est fort et violent parce que le jeune Ahmed est à ce point de révolte où il ne supporte plus cette liberté acquise, ne supporte plus ce que l’on a fait de lui. Avec des phrases simples de l’écriture épistolaire et les mots crus, Abdellah Taïa fait parfaitement ressentir la complexité de son personnage. Ahmed a cru en la liberté offerte grâce à l’attention de ce riche parisien, il a profité de cette aubaine se soumettant à la fois par amour et par intérêt. Avec le décès de sa mère, il perd son assurance, se rappelle comment les techniques de séduction, de possession de Malika ont causé le malheur de son père.
Ce roman est un cri de révolte mais aussi une façon de montrer comment un homme peut perdre sa dignité en acceptant de renier ses racines pour s’intégrer dans un autre monde.
 » Non seulement il faut s’intégrer de force dans la société française, mais si, en plus, on réussissait à faire oublier notre peau, notre origine, ça serait parfait. »

Style, construction, sujet, je recommande cette lecture.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

10 janvier 2017 à 11 h 24 min

Sympa. Je note. Bonne journée



10 janvier 2017 à 13 h 14 min

Cela me parait très fort.



10 janvier 2017 à 13 h 24 min

Il est dans ma PAL et ton avis me donne encore plus envie de le lire 🙂



10 janvier 2017 à 14 h 01 min

Un sujet pas facile que celui de l’intégration.





10 janvier 2017 à 19 h 25 min

Il me semble bien qu’il pourrait me plaire…



10 janvier 2017 à 19 h 37 min

j’aime beaucoup les cris de révolte, je ne connaissais pas du tout ni titre, ni auteur.



10 janvier 2017 à 20 h 24 min

Les romans d’Abdellah Taîa sont généralement violents et fortement inspirés de son expérience personnelle. C’est un écrivain tourmenté, longtemps rejeté par les siens en raison de son homosexualité. J’ai aimé tout ce que j’ai lu de lui, et l’entremêlement de rudesse et de poésie qui caractérise son écriture. Une mélancolie arabe m’a, entre autres, beaucoup marquée. Je lirai sans doute celui-là, mais après Un pays où mourir, qui traîne sur la PAL depuis un moment.



11 janvier 2017 à 12 h 36 min

J’ai beaucoup aimé son précédent, je retrouverais sa plume avec plaisir si l’occasion se présente.



12 janvier 2017 à 14 h 28 min

Le sujet m’intéresse, et il faut de toute façon que je me penche (pour le boulot) sur les auteurs marocains invités à Livre Paris, dont il fait partie… C’est donc noté ! Merci 😉



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