Titre : L’art de perdre
Auteur : Alice Zeniter
Editeur : Flammarion
Nombre de pages : 514
Date de parution : août 2017

Trois générations : celle au coeur des évènements d’Algérie, celle de l’exil et de l’initiation en camps de réfugiés et HLM de banlieues françaises, et enfin, celle de la narratrice, Naïma, perdue sous le poids du silence au coeur d’une double identité.

«  Quand on est réduit à chercher sur Wikipedia des renseignements sur un pays dont on est censé être originaire, c’est peut-être qu’il y a un problème. »
Naïma, née en Normandie, travaille dans une galerie d’art parisienne. Elle est chargée de préparer une exposition sur Lalla, un peintre kabyle et se retrouve ainsi confrontée à ses origines. Ses grand-parents ont fui l’Algérie au lendemain de l’Indépendance mais Ali, son grand-père, et Hamid, son père ont enterré ce passé par incompréhension ou par honte.

La première partie se situe dans les années 50 dans les montagnes de Kabylie. Ali, riche propriétaire terrien a servi la France pendant la seconde guerre mondiale. Plongé au coeur des atrocités, tant du côté du FLN que de l’armée française, il peine à comprendre les enjeux et ne voit qu’une priorité, sauver sa famille.
«  L’honneur d’un homme se mesure à sa capacité à tenir les autres à l’écart de sa maison et de sa femme. »
En 1962, lorsque le FLN menace ceux qui furent proche des français, Ali et sa famille quitte Alger pour la France. Ils se retrouvent parqués dans un camp de réfugiés à Rivesaltes.
«  On ne leur a pas ouvert les portes de la France, juste les clôtures d’un camp. »

Hamid représente la génération de fils d’harkis qui a grandi dans les camps de réfugiés puis s’est retrouvée isolée dans un HLM de banlieue. Cette génération apprend le français, sésame d’intégration, s’éloignant ainsi de leur famille affaiblie qui s’enracine dans la honte et le silence. Hanté par les cauchemars, Hamid peine à se construire entre le silence de son père et le rejet de la société française.
«  Ils ne veulent pas du monde de leurs parents, un monde minuscule qui ne va que de l’appartement à l’usine, ou de l’appartement aux magasins. Un monde qui s’ouvre à peine l’été, quand ils rendent visite à leur oncle Messaoud en Provence, puis se referme après un mois de soleil. Un monde qui n’existe pas parce qu’il est une Algérie qui n’existe plus ou n’a jamais existé, recréée à la marge de la France. »

Les filles d’Hamid et de Clarisse ne connaissent rien de l’Algérie, présentée comme un lieu dangereux qu’elles doivent éviter. Elles ne parlent que le français, ne comprennent pas l’arabe. Pourtant, avec les attentats terroristes, elles craignent l’amalgame. Préparer cette exposition sur Lalla, plonge Naïma dans la peur d’affronter le passé enterré de sa famille. Elle est le symbole de cette génération rejetée à la fois par son pays d’origine et son pays d’adoption.
«  Et elle enrage de se sentir coincée entre deux stéréotypes, l’un qui trahirait, comme le pense Lallo, la cause des immigrés pauvres et moins chanceux qu’elle, l’autre qui l’exclurait du coeur de la société française. »

Alice Zeniter réussit à transmettre un passé pour ne pas qu’il se perde avec la richesse du récit romanesque et l’éclairage d’une analyse sociologique pour laquelle elle a une grande légitimité.

Ce roman vient de recevoir le Prix Landernau 2017, le Prix Littéraire Le Monde, le Prix des Libraires de Nancy. Il est aussi présent sur les sélections pour le Grand Prix du Roman de l’Académie française, le Prix Femina et le Prix Goncourt.
Succès mérité pour un très beau roman à ne pas manquer.

 

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

10 octobre 2017 à 9 h 45 min

Je pense bien le lire… rien ne presse, je sens qu’on va encore en parler !



10 octobre 2017 à 13 h 00 min

Une amie l’a lu et a eu un avis très mitigé qui m’a fait hésiter à le lire. Ton billet arriverait presque à me convaincre de le lire.



    10 octobre 2017 à 14 h 08 min

    Au début, je n’aimais pas trop les interventions de Naïma dans le récit. Mais je me suis très vite passionnée par l’histoire, j’ai appris à connaître Naïma. Et derrière le romanesque, il y a la reflexion et la projection sur d’autres exils et sur notre société



10 octobre 2017 à 17 h 54 min

Je pense que ce roman deviendra dans quelque temps une sorte de classique tant il fait preuve d’une pédagogie limpide sur des événements complexes qui ont jusque-là rebuté plus d’un lecteur. Pour moi c’est l’un des romans phare de cette rentrée par la pierre qu’il apporte à notre compréhension du monde contemporain.



10 octobre 2017 à 23 h 09 min

J’espère le lire. Il sera certainement à la bib. Mon quota d’achat livresque est brûlé par l’achat de livres sur des artistes photos



11 octobre 2017 à 10 h 36 min

je ne pensais pas le lire, il me semble que tu produis le premier avis enthousiaste:) On verra, comme Zazy, en bibli peut-être…



12 octobre 2017 à 22 h 49 min

Finalement, l’auteur n’était pas là samedi comme prévu. Je me l’achèterai plus tard. Mais j’ai vraiment hâte !!!



26 octobre 2017 à 20 h 38 min

Un grand roman oui, il m’a soufflé ! Il faut que je trouve le temps d’en parler d’ailleurs…



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