Titre : Ohio
Auteur : Stephen Markley
Littérature américaine
Titre original : Ohio
Traducteur : Charles Recoursé
Éditeur : Albin Michel
Nombre de pages : 560
Date de parution : 19 août 2020

 

Le personnage principal du premier roman de Stephen Markley est sans aucun doute New Canaan, cette petite ville de l’Ohio. Dans le quart nord-est de cet état vivent surtout des Blancs de niveau social différent. La ville a changé à la fin des années quatre-vingt avec le départ des gros employeurs et l’arrivée de l’immigration. Lorsque Bill Ashcraft revient dans sa ville natale en 2013, il ne voit que des activités abandonnées, des portails rouillés et des maisons à vendre.

De ses jeunes années, il  ne lui reste qu’une photo prise en 2002 lors du bal du lycée avec tous ses amis, Rick Brinklan, Ben Harrington, Kaylyn, Lisa, Stacey Moore, Dan Eaton et Hailey Kowalczyk. C’était la période de l’insouciance, des amours, des sorties entre amis avec parfois quelques ragots douteux comme la circulation d’une cassette pornographique ou l’idée d’un meurtre qui n’a jamais existé. Les attentats du 11 septembre ont commencé à diviser cette petite bande, notamment Rick et Bill. Depuis, Rick Brinklan, engagé dans la guerre en Irak est mort au combat en 2007. Ben Harrington, chanteur, est  mort d’une overdose. Lisa a disparu.

Stephen Markley construit son roman en cinq parties. Chacune donne la parole à un ancien de la bande revenu à New Canaan un fameux soir de 2013, un soir où les ombres du passé vont refaire surface.
Nous commençons avec le retour de Bill Ashcraft, activiste et toxicomane, porteur d’un objet mystère interdit qu’il doit livrer à une personne de New Canaan. Pendant le déroulement de cette soirée où il rencontrera KayLyn, Bill nous fait part de faits du passé. Notamment sa divergence de vue avec Rick Brinklan.

« Rick était parti se battre dans une guerre inutile, une arnaque impérialiste bénéficiant à une petite élite, et il en avait payé le  prix.  »

Ce même soir, Stacey Moore revient à New Canaan à la demande de Bethany, la mère de Lisa. Elle redoute de rencontrer cette femme qui l’avait chassée en apprenant sa liaison avec sa fille. Aujourd’hui Bethany  n’a plus que Stacey pour tenter de retrouver Lisa qui envoie parfois des messages d’Asie. Elle en profite aussi pour déposer une lettre à son frère, un aumônier qui n’a jamais accepté l’homosexualité de sa sœur.

«  Ce sont les autres qui doivent se défaire de leurs peurs et de leurs préjugés. »

Dan Eaton revient voir Hailey ce même soir. Elle était l’amour de sa vie mais il a préféré s’engager pour une troisième mission en Irak plutôt que de la suivre. C’est à la guerre qu’il découvre la valeur de l’amitié. Si il perd un œil au combat, beaucoup y perdront la vie. Dans un livre sur l’Ohio pendant la guerre de sécession, il comprend cette phrase d’un général de l’Union.

«  A la vue de ces hommes morts tués par d’autres hommes, quelque chose l’avait quitté, une habitude de toujours qui n’était jamais revenue : la certitude que la vie était sacrée et impossible à détruire. »

Nous parcourons ensuite les rues de New Canaan avec Tina Ross. Aujourd’hui vendeuse dans un Walmart de Van Wert, elle est mariée à un homme gentil qui la rend heureuse même si elle n’aime pas son physique. C’est peut-être grâce à lui que ce soir, elle est prête à affronter son passé. Adolescente, sa passion pour Todd Beaufort l’a poussée à accepter l’inacceptable.

«  Elle avait appris à concevoir tout cela comme la normalité. »

Larguée par cet être infâme, elle s’était vengée sur son corps en l’affamant et le scarifiant.

La dernière partie fait le lien entre tous les évènements, avec l’attentat d’une mosquée. Le roman est particulièrement bien construit, alternant présent et passé et cheminant astucieusement pour explorer tous les liens entre les personnages. Des personnages complexes, des jeunes qui rêvaient de prouesses sportives pour intégrer la meilleure université, qui vivaient l’insouciance de leurs amours avant que la réalité ne vienne exploser leurs vies.

Stephen Markley utilise tous les codes pour ferrer son lecteur. La réalité sociale et politique se niche sous les destins contrariés de jeunes américains. L’intrigue se cache sous les récits du passé de trentenaires désabusés. De l’âge insouciant où l’amour et l’amitié font loi à cette soirée de 2013, nous avons le temps de connaître toutes les facettes des personnages, comprenant ainsi aisément leur personnalité et leurs désillusions.

Je remercie les Éditions Albin Michel et Léa pour la lecture de ce grand premier roman dans le cadre du #PicaboRiverBookClub

 

 

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

19 août 2020 à 15 h 32 min

Ca pourrait me plaire !
Les romans américains chez Albin Michel sont souvent de bons crus!



19 août 2020 à 20 h 51 min

ça pourrait me plaire aussi même si j’ai l’impression d’un déjà vu/ déjà lu, je me trompe?



    19 août 2020 à 22 h 03 min

    Non tu as raison, c’est assez classique de retrouver quinze ans plus tard une bande de jeunes déçus par leur vie. Mais je trouve que Stephen Markley décortique vraiment bien les sentiments de ces jeunes gens. Derrière ce que chacun affiche, on perçoit les vrais sentiments, les émotions, la réalité. Si Bill était vraiment fâché contre son ami Rick, on sent poindre dans ses attitudes la force de son amitié. Et puis il tient le tout avec une reflexion sur des grands sujets de société ( engagement militaire, drogue, homosexualité, violence, religion) et surtout avec cette envie de comprendre ce qui s’est réellement passé entre ces jeunes au lycée.





franckartbeagmailcom
8 janvier 2023 à 21 h 05 min

Un prélude glacial pour ce foisonnant premier roman, « grand prix de la littérature américaine 2020 ».
Une entame qui nous installe d’emblée dans ce pays, première puissance mondiale, déboussolé, abimé, désabusé, anxieux.
Nous sommes à des années lumières du « rêve américain ».
Plongée abyssale dans les années 2000 aux USA , ce récit est d’une noirceur terrifiante, d’un réalisme cru sans embellies possibles.
On connait les évènements, G.Bush junior à la barre, guerres multiples (Irak, Afghanistan), attentats du 11 septembre, la montée du populisme, la récession économique, la violence pour tous les genres…
Et c’est par le biais des personnages dans la trentaine, quatre anciens camarades de lycée que va se construire ce roman choc.
Tous incarnent cette jeunesse meurtrie, perdue.
On a beau être attiré par ce grand pays de libertés, intéressé par son Histoire, ses mythes, ses rêves et ce « yes we cant » ,
on déchante mais on apprend encore,
et c’est grâce à la bonne littérature américaine si riche, si captivante et si bien racontée.
Et ce roman est incontournable dans sa sincérité, dans son regard humaniste avec une construction remarquable.
Je suis sûre que cette oeuvre fera partie des classiques.
Ne le lâcher pas, il demande une lecture assidue et vous ne serez pas déçus.



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