Titre : L’extase du selfie et autres gestes qui nous disent
Auteur : Philippe Delerm
Éditeur : Seuil
Nombre de pages : 108
Date de parution : 12 septembre 2019
Ensemble loin, « la main sur l’épaule », Philippe Delerm nous accompagne une fois de plus dans ce pays nouveau et si familier de l’observation de nos gestes quotidiens qui en disent si long sur notre personnalité.
« Le temps a beau passer, c’est toujours neuf » avec cet auteur si observateur.
Quelques rencontres éphémères donnent vie à ces quarante-sept nouvelles.
J’imagine Philippe Delerm à la terrasse d’un café observant les clients. Il remarque la posture ramassée presque honteuse de celui qui vapote.
Ici, un homme en costume. Il a posé la veste. Sa cheville droite repose sur son genou gauche, un doigt dans la chaussette. En face de lui, une femme, celle qui écoute ou plutôt se regarde l’écouter. Elle affiche un bien-être physique dans ce partage intellectuel. La tête penchée un quart de seconde. Les femmes ont cette sensualité particulière dans leurs gestes intemporels quand elle repositionne la bretelle d’un caraco ou dénoue leur chignon.
Dans la rue, un homme au volant, main à plat sur le volant, exécute un créneau, façon James Bond.
« Pourtant, curieusement, cette volonté d’effleurement recèle une violence à la fois arrogante et légèrement bestiale. »
Plus loin, un vieil homme marche les mains croisées dans le dos marquant l’immobile dans le spectacle de la rue. Un père accompagne son fils à l’école. Un peu courbé vers l’enfant, il témoigne de sa complicité en ce moment de partage du quotidien.
Je vois l’auteur observer les clients dans les boutiques. Peut-être me croise-t-il dans une librairie et reconnaît-il la lectrice passionnée qui ne peut s’empêcher de passer la main sur la couverture d’un livre.
« C’est froid et chaud à la fois, lisse comme la perfection d’un autre monde. »
Plus loin, il observe cette femme qui, de manière viscérale palpe l’ourlet d’une robe pour juger de sa texture.
Puis, comme l’homme à la montre à gousset, il faut savoir prendre son temps comme dans une autre époque. Celle où sa grand-mère et sa mère passaient les groseilles à l’étamine. Couleur rouge sur tissu blanc, une histoire de femmes. Prendre le temps de sculpter une branche de noisetier, de sentir la tourbe dans un verre de whisky ou de mimer l’élégance d’un geste faussement discret, un verre de vin à la main.
L’auteur nous emmène pour quelques nouvelles en Italie ou au pays de l’enfance. Une danse ou davantage pour plier un drap. Se rappeler comment faire des ricochets, en phase avec la nature. Se souvenir de la posture devant le flipper, symbole de l’atmosphère des cafés dans les films seventies.
Les postures du pointeur de pétanque bien plus modeste que le tireur, du joueur de tennis ramassant sa balle avec le pied, du pêcheur à la ligne: des petits airs acquis qui doivent paraître naturels.
Philippe Delerm analyse aussi les codes vestimentaires, les mouvements de hanche imperceptibles, cette façon de passer le pouce et l’index sous les lunettes pour se masser les paupières. Et bien sûr, évolution des mœurs oblige, nos attitudes face aux écrans. Cette manière de faire défiler les photos sur une tablette, de téléphoner, téléphone plat sur une main plate. Jusqu’à l’analyse de ce bras qui se tend au maximum pour l’extase du selfie.
Quand vous regardez la Joconde, vous voyez son sourire? Philippe Delerm regarde ses mains, inoccupées sapant le mystère de sa beauté. C’est par ce regard attentif, inhabituel que l’auteur met en évidence nos plus intimes sentiments derrière nos gestes universels et quotidiens.
Commentaires
J’aime beaucoup ta conclusion sur ce livre.
merci; J’ai trouvé cela révélateur du regard différent de l’auteur
j’imagine bien le contenu, bien à l’image de l’auteur!
Nous sommes désormais bien habitués à ce genre très personnel