Titre : La dame blanche
Auteur : Sergueï Lebedev
Littérature russe
Titre original : Belaïa dama
Traducteur : Anne-Marie Tatsis-Botton
Editeur : Noir sur Blanc
Nombre de pages : 208
Date de parution : 28 août 2025

 

Blanche-Neige dans le Donbass

Janna revient dans son village natal, au chevet de sa mère mourante et sombrant dans la folie. Marianna, blanchisseuse pour la mine de Marat, a passé sa vie à effacer les taches d’un monde souillé — celles du linge, mais aussi celles de l’Histoire. Dans ce coin perdu du Donbass, noir de suie et de pourriture, elle faisait éclater le blanc comme un acte de résistance, presque de sorcellerie.
Janna n’a jamais connu son père, mineur mort dans un éboulement. Elle ignore presque tout du passé de sa mère, sinon ce qu’en disent les silences. Aujourd’hui, elle rêve de fuir. Mais peut-on vraiment échapper à l’héritage des morts ?

Cinq jours en 2014

Le roman se déroule sur cinq jours, à l’été 2014, juste avant l’invasion russe de l’est de l’Ukraine. Plusieurs voix s’y entremêlent : celle de Janna, celle d’un général russe, celle de Valet — un jeune voisin enrôlé dans l’armée russe — et enfin une voix d’outre-tombe.
L’unité de lieu renforce la tension : tout se passe dans cette petite ville du Donbass, hantée par la mort. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis y ont exécuté des centaines de Juifs, jetés ensuite dans le puits 3/4 de la mine. Et c’est le même qui renfermait déjà les victimes des purges russes et allemandes. Une stratigraphie de cadavres, un gouffre de mémoire. En géologue qu’il est, Sergueï Lebedev explore ces couches superposées de l’Histoire.

Le roman rappelle, sans détours, que le pouvoir soviétique, vainqueur de l’Allemagne nazie, a pourtant recouvert les crimes des fascistes d’un même voile de silence.
Et c’est encore là, dans ce sol maudit, que s’écrasent les débris d’un avion de ligne abattu par un missile russe, en ce troisième jour de 2014.

Un climat de tension et de déracinement

Sergueï Lebedev capte avec une précision glaçante le climat d’avant-guerre. Et notamment, cette atmosphère de méfiance et de fracture dans une Ukraine menacée. Valet, jeune homme du pays, recruté par son oncle dans une unité spéciale de la police, se laisse vite séduire par la propagande russe. Dans le village, les habitants l’observent avec crainte — comme tous ceux qui, peu à peu, se russifient.
Le Donbass devient ainsi un territoire suspendu, écartelé entre deux mondes :

« Il n’y avait qu’à voir le village, marcher dans les rues, écouter les gens : impossible de croire qu’ici, on pensait sérieusement à se séparer de l’Ukraine. »

Un roman fantomatique et lumineux

Une mère sorcière, des morts qui parlent sous la terre : La Dame blanche baigne dans une atmosphère de mystère et de hantise. Comme souvent face à l’horreur, le fantastique devient ici un refuge, une manière de dire l’indicible.
Mais Lebedev ne s’abrite pas derrière le symbole. En effet, il écrit avec beaucoup de courage. Installé aujourd’hui en Allemagne, il dénonce frontalement la violence et la duplicité du pouvoir russe. Son roman éclaire le présent par les ombres du passé.

« Ils étaient les Dieux rouges, vainqueurs de la bataille mondiale, adorés sur les autels de la foi communiste.
Mais quand leur pouvoir s’écroula, leur caractère surnaturel disparut — alors, torturés par la peur de l’avenir, ils se métamorphosèrent en géants chtoniens, avides de retrouver leur grandeur perdue.
C’est pourquoi toute leur guerre – et qu’importent les mots dont ils drapent sa réalité – n’est qu’envie et vengeance, rebellion des perdants. »

Chez Lebedev, la guerre n’est jamais glorieuse : elle n’est que vengeance, peur et nostalgie des vaincus.
La Dame blanche en tire une puissance spectrale — celle d’un roman où les morts parlent pour rappeler aux vivants que rien n’est jamais effacé.

Je remercie Babelio et les éditions Noir sur Blanc pour l’attribution de ce livre lors de la dernière opération Masse critique Fictions.

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Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

29 octobre 2025 à 8 h 03 min

Très belle chronique qui exprime parfaitement toute la beauté de ce livre.





    30 octobre 2025 à 13 h 15 min

    Non je ne lui ai pas mis 3/5. Ce que tu vois sur le logo Babelio est la note moyenne de tous les lecteurs Babelio? Sur Babelio, j’ai lis 3,5 et je le recommande sur mon blog ( ce qui équivaut à 4/5).



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