Titre : Nous sommes faits d’orage
Auteur : Marie Charrel
Editeur : Les Léonides
Nombre de pages : 400
Date de parution : 20 août 2025
Le village sans nom
Sarah vient de perdre sa mère, Ester, « une femme de peu de mots ». De son passé en Albanie, avant leur départ pour l’Islande, elle n’a jamais rien révélé à sa fille. Pourtant, au moment de mourir, elle lui lègue une vieille maison dans un village isolé d’Albanie, ainsi qu’un étrange message : retrouver Elora.
Mais qui est Elora ? Sarah n’en a jamais entendu parler.
Déterminée à comprendre, la jeune femme s’inscrit à un séjour d’agrotourisme et part sur les traces de sa mère, accompagnée d’un couple de Parisiens et d’un guide local, Niko. Mieux vaut ne pas s’aventurer seule dans cette région âpre, désertique, où l’on dit que rôdent les sorcières. Mais Niko, lui aussi, semble cacher bien des secrets…
Trois époques entremêlées
Marie Charrel entrelace avec finesse trois temporalités dans un récit à la fois historique, poétique et énigmatique, où la nature et le surnaturel se confondent.
En 2023, Sarah découvre le village, s’imprègne de ses paysages et mène l’enquête sur le passé de sa mère.
Parallèlement, le lecteur est transporté dans les années 1970, sous la dictature d’Enver Hoxha. Le régime communiste, corrompu et brutal, lance un vaste plan d’industrialisation des montagnes. Les bergers fuient la collectivisation pour préserver leurs troupeaux et leur liberté.
Le gouvernement envoie trois jeunes du village— Ilir, Dritan et Sokol — à Tirana. Ils deviennent des espions chargés d’analyser la presse occidentale. C’est là qu’ils rencontrent Ester, la fille du poète Besnik Elezi, ancien résistant. Belle, libre et cultivée, la jeune femme fascine les trois amis. Mais elle devra choisir entre eux.
Enfin, dans les années 1990, Sokol revient au village, désormais fidèle au Parti, il entend y imposer son autorité. Face à lui, Ilir et Dritan incarnent une autre vision de l’honneur et de la résistance. Ces destins entrecroisés tissent peu à peu la trame du secret qui unit Sarah à cette terre et à ses fantômes.
Secrets, traditions et envoûtements
Scientifique spécialisée en éco-acoustique, Sarah écoute les sons du monde. Elle est rationnelle, à l’opposé de sa mère passionnée par le surnaturel. Pourtant, face aux signes inquiétants — un cadavre de poule sur le seuil, des tempêtes soudaines —, la jeune femme reste d’un calme presque mystique.
Au cœur du village plane encore l’esprit du Kanun, ce code ancestral qui régit les unions, l’honneur et la vengeance du sang. Ici, les habitants redoutent la Kulshedra et la Shtriga, esprits et sorcières issus du folklore albanais, aussi fascinants qu’inquiétants.
Parmi les personnages, Dritan se distingue : homme des hauteurs, façonné par l’orage, la pluie et le vent, il incarne la révolte silencieuse et la fidélité à la montagne. Sa figure habite longtemps la mémoire du lecteur.
Un roman d’atmosphère et de mémoire
Avec Nous sommes faits d’orage, Marie Charrel compose un roman à la croisée des genres : fresque historique, récit d’émancipation et conte ensorcelé. L’écriture, simple mais envoûtante, mêle le réalisme de la dictature à la poésie de ses habitants.
C’est une très belle découverte, faite dans le cadre du jury du Prix Landerneau 2025, qui confirme le talent de Marie Charrel douée pour mêler l’intime, le politique et le merveilleux.

Commentaires
Quelle coïncidence, j’étais moi aussi en Albanie ce matin. Ton billet m’intrigue et je me demande ce qui a amené Marie Charrel à choisir ce pays comme cadre de ce nouveau roman. Je ne connaissais pas Les Léonides, merci pour la découverte.
C’est sûrement son travail de journaliste qui lui inspire des histoires aux quatre coins du monde. Je ne l’avais jamais lue mais j’aime son incursion dans les légendes du pays
Je crois que je n’ai pas réussi à le voir comme un conte malgré la plume si poétique et que je n’ai cessé de chercher une vraisemblance pas toujours présente.
Je crois que je n’ai pas réussi à le voir comme un conte malgré la poésie de la plume et à cesser de chercher une vraisemblance pas toujours présente.
Au pays des légendes, la vraisemblance n’est pas toujours de rigueur. Mais je suis assez réceptive à cet univers. Et puis, ici, il y a aussi l’histoire d’un pays.
D’ailleurs c’est cette histoire politique qui nous éloigne du conte.
Ma libraire en a fait un coup de coeur, mais pour le moment, je ne suis pas tentée.
J’ai hésité à le mettre en coup de coeur parce que c’est tout à fait l’univers que j’aime. D’ailleurs j’ai voté pour ce titre en tant que jurée pour le Prix Landerneau en me disant que de toute façon la qualité exceptionnelle du style de Mauvignier lui assurait la victoire.