Titre : Dejima
Auteur : Stéphane Audeguy
Editeur : Seuil
Nombre de pages : 288
Date de parution : 7 janvier 2022
Japon, un siècle d’histoire
Stéphane Audeguy allie souvent la grande et la petite histoire. Ce dernier roman n’échappe pas à la règle. Les pages en italique sur l’histoire du Japon de l’ère Meiji à nos jours alternent avec les aventures de trois femmes. Ou plutôt d’une femme qui se réincarne au fil des décennies.
Les métamorphoses d’une femme
Mabel est une jeune américaine, elle vient d’épouser Henry, un brillant avocat de huit ans son aîné. En 1902, ils partent en voyage de noces à Kyoto. Pendant plusieurs mois, Mabel découvre la ville avec ses traditions et ses constructions avant-gardistes. Elle aime se promener au sanctuaire de la déesse Inari. Et pourquoi pas accrocher un bavoir rouge aux statues de renard pour la fertilité.
En 1946, veuve, elle revient à Kyoto. Elle a honte de survivre à tous ceux qui ont péri lors des bombardements atomiques. Aussi veut-elle sauver une enfant qui erre dans les bas-fonds de la ville en compagnie d’un chien roux.
Une quête qui la conduit à nouveau au sanctuaire d’Inari où elle se réincarne en renarde, intégrant tous les passés de ceux que l’animal a mangé. Une renarde qui prendra possession de Kumiko, jeune pupille de la nation en fuite pour échapper à un mariage.
Pendant les Jeux Olympiques de 1964, Kumiko attire les hommes et tue tous ceux qui veulent la pénétrer. Capturée par les yakuzas et enfermée sur l’île de Dejima, son âme se posera sur Alice, une jeune touriste française venue au Japon avec son petit ami invité à une conférence sur l’association de la nature et de l’art contemporain. Pendant que son ami travaille, Alice découvre ce pays à sa manière. Un pays qui, en ce début de XXIe siècle tente de réhabiliter les îles de la mer intérieure ravagées par l’industrialisation.
De l’isolement à l’industrialisation
De 1641 à 1853, le Japon a pratiqué la politique de l’isolement. L’île de Dejima dans la baie de Nagasaki, ceinte de murailles et reliée au sol japonais par un pont étroit, était le seul lieu où pouvaient accoster les navires hollandais. Jusqu’en 1853 où quatre navires américains forcent la politique de fermeture du Japon.
A la fin du XIXe siècle, le Japon envoie quelques étudiants, futurs dirigeants, se former en Grande Bretagne et accueille des ingénieurs étrangers occidentaux.
C’est le début de la métamorphose du pays.
Ces chapitres sur l’histoire du Japon sont d’une extrême précision et particulièrement instructifs. L’auteur montre comment le pays s’est adapté à l’occupation américaine ( réseaux de prostitution, marché noir, réquisition de bâtiments et transformation de l’architecture suite aux déplacements et bombardements). Nous découvrons aussi les préparations de cette nouvelle arme qui conduira aux bombardements atomiques de villes choisies par le Target Committee. Puis comment le Japon a pu profiter des conséquences de la guerre pour développer son industrialisation. Au detriment de l’environnement et notamment de la nature des îles de la mer intérieure.
Libéré de l’effort de guerre, le système économique japonais prend là une avance considerable sur la majeure partie de ses voisins asiatiques.
Un bel équilibre
Dejima est un roman foisonnant, instructif et passionnant. Stéphane Audeguy maintient un bel équilibre entre l’analyse historique et économique du pays et les aventures romanesques de Mabel, Kumiko et Alice. Les esprits cartésiens seront peut-être troublés par les métamorphoses des personnages. Mais si vous les acceptez, vous ne pourrez qu’être embarqués par la richesse et l’originalité de ce roman. Et pourtant, je n’avais pas vraiment accroché à un précédent roman de l’auteur, Histoire du lion Personne.
Commentaires
Après une rencontre mémorable avec l’auteur, lauréat du prix Version Femina, j’avais beaucoup aimé Le Lion personne.
Tu peux tenter celui-ci.
Tu as bien fait de persévérer avec cet auteur.
Oui, parfois il ne faut pas rester sur une mauvaise impression
je n’ai jamais lu Audeguy, mais ce titre me paraît passionnant, et le « fantastique » ne me rebute pas du tout!
Il EST passionnant. Allez-y !
Oui et merci de l’avoir signalé: notre médiathèque a pris le Japon pour thème!
Mais il risque d’être un moment dans ma PAL car je participe au comité de lecture RTL/Lire= un livre de taille normale et quatre pavés
Super pour le jury RTL Lire! Je n’ai pas pu participer mais je suis en train de préparer un article dessus. J’ai lu le Dembele. J’ai prévu de lire le Gestern. Peut-être le Nicolas Mathieu. Curieuse de lire un avis de lecteur sur le Couraige, encensé par Lire ( c’est normal) et Le Monde des Livres
Je suis dans les Idées noires; cela me paraît intéressant comme quête identitaire; je suis un peu agacée par la côté répétitif de l’écriture…affaire à suivre. J’ai reçu le Lemaitre en même temps, il est gros mais je le suppose facile à lire. Je n’ai pas encore reçu les trois autres.
Je continue mon exploration de Sarr avec Silence du choeur et Le devoir de violence de Yambo Ouologuem.
J’attends ton article!
Je continuerai avec Sarr en octobre prochain.
Je n’avais été plus que cela emballée par Histoire du lion personne et pas trop tentée par le style…. 🙂
Moi non plus je n’avais pas accrochée au Lion. Dommage de ne pas tenter celui-ci mais je comprends que la juxtaposition des deux styles puisse inquiéter