Titre : Misericordia
Auteur : Lidia Jorge
Littérature portugaise
Titre original : Misericordia
Traducteur : Elisabeth Monteiro Rodrigues
Editeur : Métailié
Nombre de pages : 416
Date de parution : 18 août 2023
Une vieille dame attachante
Maria Alberta Nunes Amado ( Dona Alberti) a choisi de finir sa vie à l’Hôtel Paradis. Bien évidemment, elle regrette sa maison, son jardin, ses plantes.
Être en vie c’est me souvenir des mouvements du temps et du rythme de la floraison.
Elle pense avec mélancolie et tendresse à son mari, Edgar de Paula. Mais elle ne se plaint pas même si parfois elle ne se sent pas écoutée par certains soignants ou par sa fille. Clouée dans une chaise roulante, elle est complètement dépendante des bonnes volontés pour ses déplacements et sa toilette.
Les belles rencontres
Si aujourd’hui, Dona Alberti ne supporte plus la télévision ou la lecture des journaux, elle s’est auparavant toujours intéressée aux évènements mondiaux. Grâce au Grand Atlas du Monde ou son globe terrestre, tous deux restés à la maison, elle connaissait tous les pays et les capitales. Aujourd’hui, la mémoire lui joue des tours et elle est prête à déranger tout le monde même en pleine nuit pour retrouver un nom.
C’est une femme qui s’intéresse réellement aux autres. Surtout à ceux qui lui sont agréables. Elle se prend d’amitié pour Lilimunde, amoureuse d’un jeune hongrois. La vieille dame aime écouter un jeune lecteur bénévole qui la ravit avec des nouvelles originales. Elle comprend aussi les amours éphémères de son amie Dona Johanina. Elle garde une reconnaissance infinie pour le Sergent Almeida. Il lui avait écrit un mot rassurant qu’elle cache comme un trésor.
Et puis, il y a les visites très attendues de sa fille. Leurs conversations sont souvent houleuses, leurs sentiments peinent à s’exprimer . La vieille dame lui reproche que ses livres ne parlent que de misérables anonymes.
Je ne m’assieds pas à la table de ceux qui font l’Histoire, à chacun sa place.
Résister à la nuit
Si les soignants distribuent des pilules pour bien dormir, Dona Alberti préfère discuter avec la Nuit, la Mort ici personnifiée.
La nuit connaît tous les détails non seulement de ma vie mais aussi de ma pensée.
C’est elle qui la met face aux problématiques importantes de sa vie. S’acharner à retrouver le pays dont Bakou est la capitale, comprendre l’intérêt littéraire des romans de sa fille ou ses phrases énigmatiques, réfléchir sur la souffrance, la religion ou l’amour.
Sur terre, il y avait les mauvais et les bons, j’ai pensé. Des gens purs et des gens pourris. Des gens aimables et des brutes. La planète avec de nombreuses nations, mais une seule Humanité avec deux espèces uniquement, les fiables et les agresseurs.
Hommage à la mère
Lidia Jorge partage la vie intérieure de celle qui pourrait être sa mère en s’appuyant sur les enregistrements de la vieille dame entre le 18 avril 2019 et le 19 avril 2020. Des faits anodins d’une vie commune avec les résidents qui sont toujours au nombre de soixante-dix. Un nouvel arrivant remplace aussitôt celui qui disparaît. Des marques d’une sénescence inévitable avec les pertes d’autonomie, de mémoire. Des critiques d’un lieu où le temps et les moyens manquent pour assurer le confort de tous les résidents. Mais avec poésie et humour, Lidia Jorge dresse un portrait attachant de cette vieille dame intelligente et positive et porte un regard lucide sur l’univers impitoyable et avilissant des lieux de fin de vie.
A bien y réfléchir, si ce lieu d’exil ne se transformait pas parfois en cour de récréation, en école, en cirque, en théâtre, en bordel, en asile, cette grande maison serait insupportable…
A la fin du livre, l’Hôtel Paradis est frappé par l’épidémie du COVID. Lidia Jorge dédie ce roman à sa mère, décédée pendant cette pandémie.
Et c’est un très bel hommage. Mêlant petits riens et profondes réflexions, effleurant la douleur de la vieillesse et les travers des maisons de retraite tout en gardant dignité, intelligence et sourire, Lidia Jorge peint une fresque remarquable sur la fin de vie. Un exil ultime, un lieu parfois inhumain mais protecteur où la seule liberté est de vivre ses pensées et d’apprivoiser la nuit.