Titre : L’agrafe
Auteur : Maryline Desbiolles
Editeur : Sabine Wespieser
Nombre de pages : 230
Date de parution : août 2024
Elle court, elle danse
Elle court sur les chemins pierreux de l’arrière-pays niçois. On la regarde de loin, percevant malgré la rapidité une jambe abîmée, boiteuse.
C’est la jeune Emma Fulconis, la fille du garagiste. Le garagiste, un homme passionné de rallyes, attentifs aux chardonnerets, un homme qui se languit en permanence.
Inscrite au club d’athlétisme par sa mère, Emma aimait surtout courir en pleine nature. Attaquée par le chien des Goiran qui n’aime pas les Arabes, elle se retrouve plusieurs mois à l’hôpital. Son péroné ( fibula ou agrafe) a été complètement broyé.
Après d’atroces douleurs et de longs soins, celle qu’on appelait l’athlète ou le zèbre arbore ses cicatrices en portant des shorts. Elle se rase aussi le crâne. C’est une provocation de celle qui remue dans sa tête la phrase assassine du père Goiran.
Ceci est mon corps. Ceci est le vôtre à une jambe près. Ne le prenez pas, ne le mangez pas, ne buvez pas son sang, regardez-le, regardez-le avec douceur si vous pouvez.
Dans sa tête, elle murmure des chansons. Elle fait danser les mots, les pas et le corps suivent.
Elle chante et elle danse. Elle danse parce qu’elle chante. On ne l’entend pas chanter, on ne la voit pas danser, à moins d’être tout près d’elle, tout contre, et il arrive aux Agapanthes qu’on soit tout près d’elle, tout contre. Elle se tient debout, elle s’appuie d’une main’à la chaise, elle ne dépasse pas l’aplomb de la station debout, elle ne met pas un pied devant l’autre, elle ne se dépasse pas, elle ne repousse pas les limites.
La mémoire des harkis
L’émancipation d’Emma passe aussi par la connaissance de son passé. Le mémorial du camp de l’Escarène rappelle qu’autrefois trente famille de harkis logeaient dans des baraquements. L’oncle et la mère d’Emma en faisaient partie.
Son oncle Hakim lui parle de ce passé. Il raconte l’éloignement, la mise au ban, les humiliations. Et sa renaissance auprès du père Goiran grâce à la musique de Frank Zappa.
Mais aujourd’hui, alors que le camp de forestage est détruit pour laisser place à une zone d’activité, la haine est toujours présente.
Le fond et la forme
Maryline Desbiolles raconte cette histoire d’un point de vue extérieur. Ainsi regarde-t-on cette danse rendue claudicante par les blessures physiques et les stigmates du passé.
Le style de l’auteure nous fait ressentir la beauté des lieux et les émotions des personnages. Les mots ricochent, les phrases se répètent parfois, le rythme trébuche comme dans une course folle, une danse syncopée.
Mais si on admire comme au spectacle le corps infatigable d’Emma, se dresse en arrière-plan le traumatisme des harkis qui, encore, aujourd’hui, éclabousse leurs descendants.
Commentaires
Un roman riche, on dirait. Merci pour cette mise en lumière.
Une belle découverte. J’ai beaucoup aimé le style
Je n’ai jamais lu cette autrice, mais cette fois, le sujet me tente !