Titre : Estuaire
Auteur : Lidia Jorge
Littérature portugaise
Titre original : Estuario
Traducteur : Marie-Hélène Piwnik
Éditeur : Métailié
Nombre de pages : 240
Date de parution : 29 août 2019
Lidia Jorge est une grande romancière portugaise, témoin de l’histoire de son pays. Quelle aubaine d’avoir pu lire ce roman pendant mon voyage à Lisbonne. Si Lidia Jorge est née en Algarve, elle aime la capitale portugaise et parvient dans ses romans qui privilégient l’ambiance à nous plonger dans son atmosphère.
Edmundo Galeano, de retour d’un voyage humanitaire dans le camp de réfugiés de Dadaab, revient s’installer dans la maison familiale du Largo do Corpo Santo. Là-bas, en voulant récupérer le bébé qu’une jeune coureuse somalienne venait de jeter dans une poubelle, il s’est tranché la main droite. Malgré sa main mutilée, il souhaite désormais écrire un livre, le roman de sa vie, le roman de la transition. En attendant, il s’entraîne à recopier des textes et redécouvre les membres de sa famille, tous revenus dans la maison familiale.
Son père, veuf depuis vingt-sept ans, est un armateur. Autrefois, il possédait de nombreux bateaux. Aujourd’hui il ne lui reste que deux navires, bloqués au large d’Abidjan, dans l’attente du verdict d’un procès. Toute cette famille qui n’a jamais connu la privation angoisse devant la faillite annoncée.
Dans ce roman choral, chacun vit son drame assez égoïstement.
« Tous vivants et bien nourris se lamentent sur la perte de deux bateaux alors qu’il y a tant d’horreurs à Dadaad ou ailleurs. »
Alexandre, le frère aîné, ingénieur hydraulique s’en remet à contre cœur aux conseils d’une voyante consultée par sa femme.
Silvio regrette d’avoir dû vendre son appartement, son yacht. Il reprend son travail d’avocat et tente de sauver son dernier cheval qu’il ne peut plus entretenir.
Joâo Vasco s’installe avec sa nouvelle femme enceinte, une jeune prostituée russe. Il compte bien déloger la vieille tante et obtenir ainsi les plus belles pièces de la maison pour sa belle.
Charlotte, la seule fille de la famille, est revenue depuis quelques temps chez son père. Son agence de voyages a fait faillite et elle s’est séparée du père de son fils. Sa torture est aujourd’hui morale. Son ancien amant détient le pouvoir dans le procès qui menace la famille. Elle seule peut peut-être changer le cours des choses mais pourra-t-elle affronter son passé?
Les récits de Lidia Jorge, alternant les points de vue sont assez labyrinthiques. Aucun personnage ne se détache, chacun imposant ses attentes, ses plus intimes pensées.
Edmundo, dans son projet d’écriture, permet à Lidia Jorge de traiter de la création littéraire. Alors que ses frères et soeurs s’enlisent dans les problèmes concrets, Edmundo privilégie l’invisible, l’imaginaire. Il s’enferme « dans la sphère bleue, ce corps fascinant qui allait lui donner un livre sur le futur proche de l’Humanité. »
Appartient-il à un monde qui a pris fin? Sa passion pour la littérature lui donne un espoir loin des perfidies qui se jouent entre les humains.
Lidia Jorge dit ne pas écrire pour divertir le lecteur mais pour lui donner à réfléchir. Avec ce roman, bien ancré dans la beauté naturelle d’un lieu, elle oppose le créateur littéraire influencé par sa récente expérience humanitaire aux matérialistes nantis craignant de perdre leurs privilèges. Elle glisse quelques réflexions sur la pollution des océans et sur la nouvelle société à deux vitesses.
Un très beau roman aux grandes qualités littéraires.
Commentaires
J’aime aussi être amené à réfléchir quand je lis un roman.
Parmi mes dernières lectures, c’est ce qui me fait aimer Sur les routes de Sylvain Prudhomme et rester un peu sèche face à La vie en chantier de Pete Fromm