Titre : Sous le ciel des hommes
Auteur : Diane Meur
Editeur : Sabine Wespieser
Nombre de pages : 340
Date de parution : 27 août 2020

 

 Le théâtre de notre société

Le roman s’ouvre sur la description d’un lieu, le grand duché d’Éponne. Un pays imaginaire avec ses montagnes, son lac, sa place financière, ses traditions monarchiques. Un pays occidental, européen, pas très différent de ceux que l’on habite mais il garde un mystère qui garantit l’universalité du scénario.
Puis nous entrons chez Jean-Marc Féron, journaliste, ancien reporter de guerre, écrivain à succès. Georges, son éditeur lui propose plusieurs dossiers de demandeurs d’asile. Effectivement, ce dernier a convaincu son auteur d’écrire un best-seller sur une expérience de cohabitation avec un migrant. Un projet opportuniste qui devrait relancer sa carrière. Quelques jours plus tard, Hossein s’installera chez Jean-Marc, sans se douter de la raison de cette opportunité.
Quelques rues plus loin, un autre projet d’écriture voit le jour. Un cercle littéraire composé de Jérôme, un thésard, Sonia, une traductrice rewriter, Isabelle, une actrice et mère célibataire, Dieter et Stanko travaille sur un pamphlet de critique sociale intitulé Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste.
Avec en ligne de fond ces deux projets d’écriture, Diane Meur construit une trame narrative autour de ces personnages et quelques autres qui leur sont reliés.

Un laboratoire social

Une fois le décor posé, l’auteur tisse un roman social en zoomant de manière plus en plus serrée sur chacun de ses personnages.
Pas vraiment convaincu par le projet de son éditeur, Jean-Marc Féron subit une panne d’écriture. Syndrome post-traumatique ou cohabitation difficile avec Hossein, un homme bienveillant et excellent cuisinier. L’immigré avec ses tragédies et son épaisseur humaine déstabilise l’écrivain et fait resurgir en lui un traumatisme de l’enfance. Appelée par l’éditeur, Sonia vient à la rescousse pour aider Jean-Marc à écrire. Finalement elle sera davantage une aide psychologique dans une relation réciproquement profitable .
Hossein nous conduit vers Ghoûn, un jeune migrant auquel il donne sa place en foyer. La demande d’asile de Ghoûn a été rejetée et pour son recours, il doit maintenant prouver ses progrès au bureau de l’immigration et des réfugiés. Il se fait exploiter en distribuant des imprimés publicitaires et s’instruit à la médiathèque où il rencontre Semira.
Semira est femme de ménage, notamment chez Sylvie, la maîtresse de Jérôme. Sylvie, mariée et mère de famille, est développeuse de projets dans le secteur de la mode. Superficielle et insatisfaite, elle vit mal son infidélité, sa difficulté à faire progresser son fils et l’évincement de son chef à un poste supérieur.
N’oublions pas Eugène Waizer, un ancien professeur, isolé et déstabilisé depuis la mort de son épouse.

– Si être exilé, c’est être hors du temps, alors nous sommes tous un peu en exil, tu sais, murmurait l’ami directeur de collection, qui, chacun le savait, souffrait dans son travail.….
– Tous un peu en exil ? Sans doute. Il ne peut en être autrement dans un monde où l’homme est obsolète, un monde qui n’a jamais été aussi peu fait pour lui.

L’être humain surnuméraire

Guidé par les écrits du pamphlet, le roman illustre la dévalorisation du travail, la pression du capitalisme qui privilégie le profit à l’humain. Dans ce monde où le travail utile est dénaturé au profit de métiers nuisibles. Où les machines prennent l’ascendant jusqu’à nous déposséder de la liberté de choisir un partenaire ou un restaurant. Où tout est ramené dans la sphère marchande, même ce que l’on aurait auparavant prêté ou donné. Un monde promis au désastre écologique, à l’autodestruction.

En bas, la terre qu’on borne et qu’on s’approprie, dont on fouille les sols, dont on brevète les fruits, cette pauvre terre qui est devenue la terre des hommes….

Les personnages sont ainsi emportés par un système pervers qui transforme « ses victimes en autant de semi-bourreaux dressés à ne plus voir l’autre, ou à le voir en ennemi. »

Diane Meur tisse un récit romanesque avec une réflexion profonde et intelligente de notre société. Une excellente lecture que je vous recommande.

Même un modèle économique aussi solidement établi, aussi triomphant que le capitalisme avancé dans sa version totalitaire passera, lui aussi, pour laisser place à autre chose…Une autre fin possible lui venait en tête. Il ne s’agit donc pas de nous « adapter » au monde de demain : il s’agit de le faire.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

24 avril 2024 à 14 h 16 min

Les citations font vraiment envie mais la trame autour de la panne d’écriture me laisse perplexe. Je le note quand même au vue de ta chronique très enthousiaste !



    24 avril 2024 à 14 h 27 min

    Je me suis peut-être mal exprimée. Cette histoire de panne d’écriture ne constitue pas la trame. Elle est un point de départ, l’occasion de la rencontre avec Sonia et la mise en évidence d’un trauma d’enfance insidieusement révélé par la présence du demandeur d’asile. Pas d’inquiétude, le roman est vraiment beaucoup plus riche que ça.



24 avril 2024 à 15 h 55 min

Merci pour ce conseil! Dès qu’il est question de « roman social », je tends l’oreille 🙂.



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