Sur la route de jostein

Titre : Le danger de ne pas être folle
Auteur : Rosa Montero
Littérature espagnole
Titre original : El peligro de estar cuerda
Traducteur : Myriam Chirousse
Editeur : Métailié
Nombre de pages : 288
Date de parution : 6 octobre 2023

 

Les deux composantes de Rosa Montero

Rosa Montero, célèbre écrivaine et journaliste espagnole, a fait plusieurs crises de panique entre dix-sept et trente ans. Elle connaît bien cette perte d’équilibre qui éloigne de la réalité.

Te sentir fou, c’est sentir d’une certaine façon que tu n’appartiens plus à l’humanité.

Dans ce livre, elle explore le lien entre la créativité et une certaine extravagance.

C’est précisément de ça que parle ce livre. Du lien entre la créativité et une certaine extravagance. Du rapport que la création entretient avec l’hallucination. Ou de savoir si être artiste te rend plus enclin au déséquilibre mental, comme on l’a soupçonné depuis la nuit des temps.

Le nombre de dépressifs est en nette augmentation et cette hausse est encore plus forte chez les artistes, surtout chez les écrivains. Un auteur serait quatre fois plus susceptible de souffrir d’un trouble bipolaire.
Et effectivement, Rosa Montero convoque un grand nombre d’écrivains pour étayer ses propos. Proust, Virginia Woolf, Emily Dickinson, Sylvia Plath mais aussi Doris Lessing, Janet Frame, Dove Ditlevsen ou Emmanuel Carrère.

Un récit documenté

L’auteur s’intéresse d’une part aux causes des dysfonctionnements en s’appuyant sur des recherches médicales.

Il est donc indéniable que, dans ce que nous appelons la folie, il y a toujours une base biologique, chimique, électrique.

Mais la biologie peut aussi être altérée par des influences externes comme le stress ou des blessures d’enfance. Ces dernières ont une importance fondamentale dans le créatif.

L’enfance est longue et étroite comme un cercueil et nul ne peut s’en échapper sans aide […] Personne n’échappe à son enfance qui vous imprègne comme une odeur. Tove Ditlevsen ( 1917-1976)

Elle s’intéresse aussi aux pratiques de soin avec les exemples de Janet Frame et d’Emmanuel Carrère.
Enfin, en glissant parfois dans la fiction avec cette étrange femme qui se fait passer pour elle, elle poursuit cet essai en cataloguant les différentes problématiques des écrivains névrosés. Phénomène de dissociation, enfances gâchées, pertes d’un être cher, noctambulisme, passions démesurées, suicide.

Témoignages d’écrivains

Si l’on connaît les blessures d’écrivaines comme Virginia Woolf ( j’ai d’ailleurs beaucoup apprécié récemment le film Les heures de Stephen Daldey inspiré du roman de Michael Cunningham), Sylvia Plath ou Emily Dickinson, j’ai découvert la vie de Janet Frame, écrivaine neo-zelandaise qui a échappé à la lobotomie grâce à un prix littéraire. J’en ai aussi appris davantage sur la vieillesse de Doris Lessing qui a accordé une longue interview à Rosa Montero ou de Ursula K. le Guin.

J’ai rejeté mes peurs hors de moi à travers la littérature, autrement dit j’ai écrit ma peur de la folie… Doris Lessing

Rosa Montero évoque aussi le suicide de Stefan Zweig, les électrochocs d’Emmanuel Carrère, la sensibilité de Christian Bobin.

Finalement, je n’aime pas la sagesse. Elle invite trop à la mort. Je préfère la folie – pas celle qu’on subit, mais celle avec laquelle on danse. Christian Bobin

Pour tous ces écrivains, ces « junkies de l’intensité », écrire est un acte essentiel et salvateur, une reconnaissance vitale.

Ce livre est un récit richement documenté, passionnant. Rosa Montero dynamise son essai avec une part fictionnelle et des anecdotes personnelles. Ce qui en fait une lecture agréable et instructive.

Lu dans le cadre du Mois espagnol de Sharon