Titre : Espèces dangereuses
Auteur : Sergueï Shikalov
Editeur : Seuil
Nombre de pages : 224
Date de parution : 1 mars 2024
L’entrebâillement d’un espoir
Le 27 mai 1993, le gouvernement de Boris Eltsine radie l’article 121 qui stigmatisait les homosexuels. Désormais, chacun est libre d’aimer comme il veut. Même si il convenait toujours de faire profil bas, la société emmenée par le courant des progressistes devient plus tolérante envers ceux que l’on appelait les gloloubyïé ( les « bleus »).
Pendant les mandats de Boris Eltsine, la culture américaine avait infusé dans toutes les strates de la société russe.
Sous une avalanche de souvenirs visuels liés à la consommation, l’auteur évoque cet entrebâillement vers la liberté. Ikea, Zara, Coca-cola et coiffeurs formés en Angleterre.
Premier concert de George Michael ou de Mylène Farmer à Moscou en 2000. En 2003, Ioulia et Lena, chanteuses lesbiennes sont les candidates russes pour le grand prix de l’Eurovision. En 2009, il y avait même un restaurant-bar à côté de la Loubianka qui organisait des soirées entre hommes.
On avait enfin la conviction que le pays était enfin sur la bonne voie.
Une génération entre peur et honte
Si la société avait évolué, il convenait toujours d’être prudent. C’est peut-être ce qui explique l’utilisation du pronom impersonnel « on » pour ce récit. Un pronom qui maintient le flou et la poésie et qui englobe ainsi toute une génération pétrie de peur et de honte.
Il suffisait d’arrêter de penser, de ne pas faire de la provoc, de ne pas tenter de « bouleverser le système. »
Derrière cette avancée de la société, l’auteur n’oublie pas de rappeler les sujets sensibles à éviter, la peur du sida, la comparaison avec la société américaine lors d’un échange universitaire.
Puis en 2012, lorsque Vladimir Poutine reprend le pouvoir, de nouvelles lois renouent avec les valeurs traditionnelles. Une loi interdit toute propagande de l’homosexualité parmi les mineurs. C’est le point de départ vers des lois de plus en plus strictes jusqu’en novembre 2022.
Génération désenchantée
Sergueï Shikalov qui avait appris le français en écoutant les chansons de Mylène Farmer quitte la Russie en 2016 pour s’installer en France. Ce roman traduit ce qu’il reste de ses rêves d’une société plus juste en convoquant des images et des mots de ses années de jeunesse dans un pays qui, désormais, préfère la guerre à l’amour libre.
Un roman courageux sur une génération désenchantée.
Commentaires
Impressionnant de voir à quel point la société a été de nouveau cadenassée ces dernières années. Merci pour ce partage
Malheureusement, les plus belles avancées sociales ne sont pas à l’abri des mouvements conservateurs qui reviennent au pouvoir…
C’est pour cela qu’il faut toujours rester vigilant
Je ne sais pas si, comme tu le dis, le pays préfère la guerre. Je pense que beaucoup subissent.
Avec « le pays », l’auteur entend son gouvernement.