Titre : Histoire d’une domestication
Auteur : Camila Sosa Villada
Littérature argentine
Titre original : Tesis sobre una domestication
Traducteur : Laura Alcoba
Editeur : Métailié
Nombre de pages : 224
Date de parution : 19 août 2024
La voix humaine
La narratrice est une comédienne célèbre, l’actrice trans la plus connue du monde. Contre toute attente, elle a décidé de monter sur scène pour jouer La voix humaine de Jean Cocteau. C’est un long monologue. Une femme parle au téléphone avec un homme dont elle vient de se séparer.
Elle tente de tirer une confidence à son ex, une certitude, lui arracher la vérité par le mensonge.
Une situation explosive sur scène qui est aussi le reflet de sa vie privée.
Un couple atypique
La comédienne est mariée depuis sept ans avec un avocat homosexuel. Il forme un couple libre. Elle a une relation avec son metteur en scène et lui, voit régulièrement d’autres hommes dont un jeune vénézuélien.
Mais le couple tient grâce à un besoin physique réciproque et à la responsabilité envers un jeune garçon qu’ils viennent d’adopter.
Cette adoption d’un enfant meurtri par le passé et séropositif bouscule l’équilibre du couple. Ils s’éloignent et la comédienne est de plus en plus jalouse.
Elle se conduit comme une épouse qui n’aura jamais fini de remercier pour la vie domestique dont elle jouit. Mais comme au théâtre, tandis qu’elle feint d’être une autre, un monologue a lieu en parallèle.
Se reconstruire
Au coeur de cette période de questionnement, le couple doit passer le week-end chez les parents de la comédienne. Ce retour au village natal ravive les blessures du passé.
Le père n’a jamais accepté sa fille devenue comédienne. Il ne lui parle pas, préférant son fils et sa famille. La comédienne, outrée par l’attitude de son frère, sa belle-sœur et son père, ne peut rester une minute de plus à leur table. Elle se réfugie chez sa mère, une hippie qui a toujours vécu librement. La narratrice a hérité de sa mère « la passion pour la singularité du style, la liberté la nudité, de la désinvolture. »
Ni le père, ni la mère n’ont su aimer cette enfant qui a subi le harcèlement scolaire, une tentative de viol et l’extrême fragilité dans laquelle vivent les trans.
La provocation
Ce n’est pas facile d’être la plus célèbre trans de l’Argentine, de vivre avec de telles blessures du passé, de choisir de créer une famille quand on n’en a jamais eue.
La comédienne veut la liberté que sa mère ou ses tantes n’ont jamais connue. Trans, elle doit jouer avec les hormones pour vivre dans son corps mais aussi assurer le désir de son mari homosexuel. Elle veut aimer et protéger son enfant, contrairement à sa belle-sœur incapable de regarder sa fille. Mais elle refuse aussi l’ennui et l’étouffement d’une domestication. Alors, elle provoque.
Elle avait été une grande disciple dans l’art de rendre un homme fou. Elle avait appris que ce qui comptait, ce n’était pas l’amour, la routine ou les jours à se réveiller l’un à côté de l’autre, mais la satisfaction d’avoir un type avec qui jouer et que l’on pouvait embrouiller. L’art d’ôter à l’homme tout point d’appui, de le blesser, de lui faire des promesses, de le menacer, de dessiner pour lui un monde qu’on pouvait détruire d’un simple soupir.
Il faut parfois se mettre à nu pour trouver un sentiment de paix. La comédienne y parviendra-t-elle ?
Camila Sosa Villada nous transporte dans son monde avec beaucoup de transparence. Certaines scènes érotiques pourraient choquer certains lecteurs mais l’auteur n’y met aucune vulgarité. C’est certes violent comme la passion des âmes écorchées peut l’être. Avec une écriture juste et puissante, elle donne une portée universelle à cette histoire de couple. Un homme et une femme, meurtris par le passé, qui se punissent mutuellement du fait de trop se désirer.