Titre : L’ablation
Auteur : Tahar Ben Jelloun
Éditeur : Gallimard
Nombre de pages : 144
Date de parution : janvier 2014
Présentation de l’éditeur :
«Témoins vigilants, observateurs attentifs, il arrive parfois que les romanciers se voient confier des vies pour les raconter dans leurs livres. Ils font alors fonction d’écrivain public. C’est ce qui m’est arrivé il y a deux ans lorsqu’un ami, qui avait été opéré de la prostate, m’a demandé d’écrire l’histoire de son ablation.
Je l’ai écouté pendant des heures. Je l’ai accompagné dans ses pérégrinations hospitalières. Je suis devenu ami avec le professeur d’urologie qui le suivait. L’idée d’un livre s’est imposée peu à peu. Un livre utile qui rendrait service aux hommes qui subissent cette opération, mais aussi à leur entourage, leur femme, leurs enfants, leurs amis, qui ne savent comment réagir.
Mais la situation était délicate : fallait-il, comme le demandait mon ami, tout raconter, tout décrire, tout révéler? Après réflexion, j’ai choisi de tout dire.»
Tahar Ben Jelloun.
Mon avis :
Dans L’ablation, Tahar Ben Jelloun annonce jouer l’écrivain public pour un ami mais c’est bien un homme conscient du problème qui parle.
Le cancer de la prostate ( comme le cancer du sein pour la femme), arrivé à un certain terme, se traite par la soustraction de l’organe malade. Certains patients, inquiets des conséquences sur leur vie intime préfèrent » la vie même brève plutôt que l’ablation. »
Ce chercheur en mathématiques, après l’angoisse des différents examens, opte pour l’ablation de la prostate sur les conseils de son ami médecin. C’est avec beaucoup de naturel, sans aucun tabou que nous vivons ces moments difficiles (examens, opération, suites opératoires) pour tout être humain.
Chaque étape est humiliante, dégradante même si les soignants sont d’un grand naturel. La dépression post opératoire est inévitable et même si le malade évite le mot « cancer » auprès de ses amis, l’isolement finit par avoir lieu.
« Même quand elle ne s’affiche pas, la maladie isole, impose la solitude et le silence. »
Pour cet homme » qui a passé sa vie à courir les femmes« , ( on retrouve notre Don Juan de L’amour conjugal) ne plus avoir de sexualité est sans aucun doute le plus difficile à assumer.
» La sexualité et l’amour sont deux choses différentes, liées certes, mais pas nécessairement, du moins c’est ce que je croyais jusqu’à mon opération. »
Est-ce la raison pour laquelle les souvenirs de femmes sont si présents dans les deux derniers livres de l’auteur ?
» Comment apprécier un Renoir si ta vie sexuelle est un désert. » J’ose espérer que c’est encore possible.
La cécité de l’écrivain Jorge Luis Borgès ou la surdité de Luis Buñuel ne sont-elles pas plus affligeantes?
Tel Philip Roth qui accepte mal la vieillesse et la déchéance des corps dans Exit le fantôme, les écrivains n’hésitent pas à aborder ces thèmes qui nous concernent ou concerneront tous, sans aucun tabou.
Et c’est une bonne chose car dans un monde où la publicité affiche des corps sains, jeunes (même pour les produits concernant les personnes âgées), la déchéance des corps, l’humiliation de la perte de fonctions élémentaires sont souvent inévitables.
Le récit est une vision assez exhaustive des différentes étapes de la maladie, du dépistage aux conséquences. Je me serais bien passée des détails de la sexualité du malade mais il était sûrement important de montrer toute l’importance qu’il y portait.
Heureusement, l’auteur a cet altruisme de penser aussi aux femmes atteintes du cancer du sein ou aux enfants malades croisés à l’Institut Curie.
Un essai, qui, même si il n’apprend pas des choses essentielles, est un témoignage nécessaire pour exorciser ce tabou de la maladie et de la senescence.
Je remercie pour cette lecture.
Commentaires
pas envie de lire ce livre malgré ton commentaire
Je pense qu’il est important d’en parler. Maintenant je me serais bien passée de ses regrets quant à sa libido et de ses expériences sexuelles.
Donc je comprends ta position. Et tu ne seras pas la seule.
Les deux derniers romans de l’auteur me font regretter ses anciens livres.
Il faudrait que je découvre cet auteur mais pas avec celui-ci.
Un de mes préférés est Partir.
Mais je suis effectivement déçue par les derniers
Pas hyper tentée, mais merci pour cet avis constructif ! J’avais lu un de ses romans, que j’avais d’ailleurs plutôt apprécié, mais je ne me souviens plus du titre…
C’est un sujet assez particulier
Je l’ai entendu en parler sur France Inter et j’avoue qu’il m’a donné envie de lire son livre… Tu sembles l’avoir apprécié… alors je ne l’achèterai pas mais s’il est à la médiathèque ou si je le trouve en poche plus tard, pourquoi pas… Moi aussi je regrette les premiers romans de cet auteur !
Je pense que c’est important d’en parler. Le style et la voix de Ben Jelloun sont de bons vecteurs de communication. Maintenant, je sens le narrateur (et/ou l’auteur) un peu tourmenté par un point particulier dont je n’ai pas envie de lire les détails.
Je suis d’accord avec toi, il faut en parler, même si le mot « cancer » fait peur, même si pour ne pas froisser on dit maintenant « longue maladie » ou quelque ineptie à rallonge. C’est important de dire ce que c’est, pour qu’on arrête d’isoler les malades, d’une certaine façon…
L’auteur exprime bien ce rejet et cet isolement.