Titre : La place
Auteur : Annie Ernaux
Éditeur : Gallimard
Nombre de pages : 128
Date de parution : 1983, Folio 1986
Auteur :
Annie Ernaux, née en septembre 1940 à Lillebonne (Seine-Maritime), est une écrivaine française, professeur de lettres. Son œuvre littéraire, pour l’essentiel autobiographique, entretient des liens étroits avec la sociologie.
Présentation de l’éditeur :
«Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide. Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m’aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.
Puisque la maîtresse me « reprenait », plus tard j’ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que « se parterrer » ou « quart moins d’onze heures » n’existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : « Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps ! » Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent.»
Mon avis :
Une fois de plus, Annie Ernaux écrit un livre clair et direct sur une période de sa vie. Elle revient ici sur la mort de son père à l’âge de soixante sept ans (l’épitaphe laisse supposer soixante neuf…), en 1967, deux mois après ses épreuves pratiques du CAPES. Si, à ce moment, elle avait pris de la distance par rapport à sa famille, se creusant le fossé entre le monde paysan de leurs origines et celui plus bourgeois de sa nouvelle vie, elle ne peut que des années plus tard reconnaître la vie digne « soumise à la nécessité » de son père.
Né deux ans avant le siècle, il a dû travailler tôt, engagé dans une ferme. Il n’est entré dans le monde qu’à son incorporation au régiment. Mariée à une fille des usines, orpheline de père, mais sachant lire et compter, il cherche à s’installer en prenant un café-épicerie près du Havre. A l’approche de la guerre, les affaires ne sont pas terribles et le père doit reprendre un second travail dans une raffinerie.
Courageux, il ne ménage pas sa peine afin de ne jamais retomber dans la misère du monde paysan.
Annie, à l’adolescence, souffre de leur manque d’éducation, de leur vie routinière, de leur satisfaction avec presque rien. Les études lui permettent de sortir de ce monde rural ce qui tracassent un peu les parents. Souci du qu’en dira-t-on, peur de voir s’éloigner leur fille.
Et le premier éloignement creuse encore davantage le fossé, surtout avec un gendre plutôt issu de la bourgeoisie.
Mais derrière ce fossé inéluctable qui se creuse entre des parents un peu rustres et une jeune femme promise à un bel avenir d’intellectuelle, il y a une reconnaissance envers le père (et la mère) qui ont toujours relever les manches pour assurer une vie digne à la famille, qui savaient être heureux avec ce qu’ils avaient, qui rêvaient en le craignant que leur fille réussisse une meilleure vie.
Ce livre est un très bel hommage à un homme qui, malgré les difficultés liées à son époque et ses origines, a toujours gardé sa dignité et a tendrement élevé et accompagné sa fille vers une vie meilleure. La reconnaissance de l’adulte succède à la gêne de l’adolescente.
Cette évocation autobiographique touche particulièrement une fille de parents modestes mais généreux.
Je remercie Nathalie de m’avoir accompagnée pour cette lecture. Retrouvez son avis ici.
Commentaires
Un très bel avis, merci pour cette belle lc
Ca donne envie! Je viens de terminer Les années et c’est un gros coup de cœur. L’écriture d’Annie Ernaux qui, avec beaucoup de pudeur, relate à la fois ce qu’elle vécu d’un point de vue intime et sociologique.
C’est une écriture simple mais forte et convaincante qui paraît ( et est, je pense) très sincère.
Un beau billet, une auteure que j’aime beaucoup ! J’ai lu La place il y a longtemps mais j’en garde un bon souvenir !
Pas facile de parler aussi bien de sa vie, sans jamais en faire trop, sans masquer les difficultés. Les récits en deviennent des leçons de vie.
Je pense que ce livre me plairait. J’y reconnais déjà des membres de ma famille.
Et je ne ressens pas de honte dans ce récit. Juste un clivage normal au moment de l’adolescence.
Je n’ai jamais pu dépasser la page 10. Pourtant, le sujet m’intéresse, mais je bloque sur l’écriture…
Elle n’a pourtant rien de particulier. C’est peut-être ça justement ou le côté autobiographique.
Oui, c’est une écriture blanche, et j’ai du mal avec ce procédé, même quand c’est Camus. J’ai beau savoir intellectuellement que c’est très difficile à faire et que ça demande un vrai travail, j’ai l’impression que ce n’est pas écrit…
Oui, je comprends vraiment bien tout cela. C’est aussi une part de mon histoire.
Malgré vos avis plus que favorables, je n’ai jamais sauté le pas pour lire cet auteur
celui que je préfère de l’auteure et le premier d’elle que j’ai lu
Je peux comprendre. La place est un livre qui identifie les racines de l’auteur, écrit avec tant de sincérité.
Il me semble ne pas avoir lu Les Années, l’autre livre le plus primé.
L’événement est aussi un témoignage structurant pour les femmes.
L’autre fille est un bel exemple d’écriture dans la collection Les affranchis.
un livre qui m’avait beaucoup plu.
J’étais passée complètement à côté de cette lecture, mais j’étais jeune.
Il faut un certain recul ( en âge) pour comprendre ces réactions.
je n’aime pas l’écriture d’Ernaux mais des trois livres que j’ai lus d’elle, c’est celui que j’ai préféré.
Tu rejoins donc Cultur’elle sur l’écriture.
Toujours pas lu mais je crois que je l’ai quelque part sur mes étagères…
C’est un livre que j’avais lu en 1ère et que j’avais beaucoup aimé. La plume d’Annie Ernaux est vraiment magnifique.