Titre : La vie magnifique de Frank Dragon
Auteur : Stéphane Arfi
Editeur : Grasset
Nombre de pages : 272
Date de parution : 11 janvier 2017

Frank Dragon a six ans quand la France est aux mains du Maréchal, le  » salopard » qui baise les pieds du diable Hitler. Son père, Tateh est rabbin. Ona, sa mère lui conte l’histoire de Dieu fâché contre Ish et Isha qui ont mangé le fruit interdit du jardin délicieux.
Difficile ensuite pour cet enfant de renouer avec ce Dieu-fâché qui lui envoie tant de misères.
Ona est arrêtée en croyant à la convocation des « képis« , Tateh est dénoncé par l’horrible concierge et emmené dans un camp. Frank reste seul, caché dans la grande armoire avec ses poupées de chiffon et le grand livre rempli d’ordres de Tateh.
Madame Bonaventure, la voisine, récupère l’enfant et le confie à une grand-mère de l’arrière-pays, un peu revêche mais elle aussi marquée par la guerre. Là-bas, Frank retrouve Beata Blumenfeld, son amour secret de son immeuble parisien. Beata et Frank sont les deux seuls enfants juifs de l’école, des enfants effacés qui  » ont mal tout au fond d’eux. »
En août 44, le village est anéanti par les Allemands. Frank parvient à s’échapper avec Sauveur, le fils du facteur âgé de quatorze ans. D’autres enfants ne survivront pas.
Un mois plus tard, Frank est recueilli dans une maison de pensionnaires gérée par les Pères André et Pierre, à Villedieu. Là, il fait la connaissance de Jésus sur sa croix et se retrouve confronté la différence des religions.
En 1946, Tateh retrouve son fils et lui raconte l’horreur de sa déportation. Son récit atroce prend plusieurs pages sans aucune ponctuation, comme le vomissement d’années d’horreur. Frank ne reconnaît plus son père, ne comprend pas qu’il ait pu souffrir davantage que lui. Chacun sa souffrance, Tateh lui remet le livre, « l’histoire de leur peuple » avant de disparaître.
A 19 ans, Frank ne croit plus en Dieu mais peut-être en son fils qui, lui, sait ce que c’est de souffrir.
Frank quitte le pensionnat pour échouer à Meudon dans une ratière où il découvre le racisme. Il se retrouve finalement dans les rues de Paris en plein hiver 54, le plus froid, celui où l’abbé Pierre s’insurgera.
Curieusement, il retrouve Sauveur qui le conduira à l’hôpital.
Fiévreux et délirant, Frank nous transporte dans ses souvenirs cauchemardesques, ses visions théâtrales et ses explications avec un Dieu qui ne veut pas de lui.
 » Je crains en effet qu’un jour prochain, Je doive M’occuper personnellement des hommes dans leur ensemble, bien que j’y rechigne comme Je viens de te le rappeler, et que de ce fait, la majorité paiera pour le comportement d’un petit nombre qui mène les hostilités. Les hommes n’ont, semble-t-il, pas compris tout l’intérêt qu’il y a à exister avec des êtres différents d’eux. »

La première partie, certes sur un sujet déjà maintes fois traité, est remarquable par son style, celui d’un jeune enfant qui ne s’exprime pas, qui a une compréhension enfantine de ce qui se passe autour de lui. La naïveté et l’innocence se heurtent à la violence du moment, qui de fait est atténuée dans l’esprit de l’enfant. Mais les évènements racontés sont bien ceux qui nous ont tant de fois touchés avec la peur des uns, la méchanceté des dénonciateurs et la sympathie de certains.
En grandissant, Frank, sans jamais dire un mot, perçoit davantage de choses. Se réfugiant toujours auprès de ses poupées de chiffon, il est pourtant contraint de devenir acteur et de prendre en main sa survie. Mais le monde est toujours aussi cruel pour un jeune juif orphelin, et comme le dit Camus, «  il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre. »
Ses fièvres nous entraînent parfois trop loin, sans véritable interêt pour l’histoire. Mais pour l’adolescent l’irréel est un refuge nécessaire pour évacuer les angoisses. Quelques bonnes rencontres inespérées en fin de roman peuvent paraître improbables. Mais, sans exagération, ces deux points ne viennent pas compromettre l’attachement que l’on peut avoir envers le jeune Frank, qui reste toutefois le seul personnage marquant de ce premier roman.

 

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

19 janvier 2017 à 13 h 56 min

Je ne te sens pas convaincu par cette lecture.



    19 janvier 2017 à 14 h 57 min

    C’est un très bon premier roman avec un sujet pas facile car souvent traité. L’auteur a su y mettre sa touche personnelle.
    Lors de mon article sur les futures sorties littéraires, tout le monde attendait ce livre. J’ai donc mis beaucoup d’attente dans cette lecture.
    Et j’ai la fâcheuse manie d’attendre parfois davantage quand je lis un livre, un peu comme si j’écrivais mon histoire ( ce dont je serais bien incapable). J’aurais aimé creuser davantage les relations avec les personnages secondaires qui avaient un fort potentiel.
    Mais je relirai volontiers cet auteur.



Karine Boulive
19 janvier 2017 à 15 h 15 min

Pas d’accord avec toi Jostein, tellement de belles choses et positives dans ce récit initiatique : un style singulier, attachant, déroutant, poignant. Le héros est tout de suite près de soi et ce regard d’enfant est inoubliable. C’est un fantastique jet de lumière sur sur notre histoire la moins glorieuse à travers les yeux d’ n enfant qui grandit comme il peut, avec de la poésie plein les poches (les passages sur le Maréchal Pétain sont assez incroyables) et il se construit au long des épreuves les plus dures, perdu au milieu de la haine mais aussi de l’amour et de l’amitié de ceux qu’ils croisent et qui l’aident comme ils peuvent. Les personnages (comme Sauveur Léglise ou la Grand-Mère) sont tous très bien mis en scène et on voudrait presque tous les prendre dans ses bras… L’émotion est constante, toujours brute, parfois brutale mais authentique. On est dans le drame de la guerre mais tout se déroule en douceur. le questionnement sur Dieu est très présent, avec beaucoup d’humour là encore diffus. Certains passages vous serrent la gorge. Vraiment un très beau roman que celui de Stéphane Arfi. Je vais le crier sur les cyber-toîts !



    19 janvier 2017 à 18 h 07 min

    Je n’allais sûrement pas supprimer un si riche commentaire. Mon blog est fait pour l’échange.
    Je suis d’ailleurs contente que tu tempères mon avis car j’ai peut-être été un peu trop rude.
    Quelque part, nous nous rejoignons sur cette première partie. J’ai peut-être été moins enthousiaste dans mes propos.
    Comme toi, je trouve que les personnages secondaires ont un fort potentiel comme Sauveur ou Inigo ( Beata et la grand-mère aussi dans une moindre mesure) et j’aurais aimé qu’ils soient davantage présents.
    Ensuite, tu sais, parfois nous basculons dans l’ambiance et parfois le coup de coeur ne vient pas. Tout cela est très subjectif. Mais je comprends ton ressenti et je confirme que c’est un très bon roman mais pas un coup de coeur pour moi.
    Si je trouve ton avis sur un blog, je rajoute le lien en fin de ma chronique.



      Karine
      19 janvier 2017 à 19 h 31 min

      Merci et ravie de ta réponse, ça fait plaisir de voir que tu es autant passionnée, argumentée que respectueuse 🙂



Valérie Kerel
19 janvier 2017 à 15 h 17 min

Oui, moi aussi, je l’ai acheté au moment où tu la mis sur ton blog et l’ai lu hier soir d’une traite. J’ai trouvé qu’il est bien, beau même et il ne ressemble pas à ce qu »on lit habituellement. C’est le genre de roman qu’on oublie pas je trouve. J’ai moins accroché à la fin mais tout le reste est très prenant, vraiment beau.



    19 janvier 2017 à 18 h 10 min

    Oui, je crois que Stéphane Arfi a su trouver l’angle et le style nécessaires pour marquer de sa touche personnelle un sujet largement traité.
    Comme moi, tu préfères la première partie à la fin.
    Merci pour ton commentaire



karine Boulive
19 janvier 2017 à 15 h 26 min

Et pourquoi mon post est supprimé ?? C’est pas bien de faire ça, je vais le dire.
karine



19 janvier 2017 à 15 h 49 min

Je suis d’accord avec toi. Une première partie très alléchante (pour moi, les passages les plus convaincants et émouvants étant ceux de son séjour à la campagne avec des scènes vraiment bien traitées) et la dernière partie m’a perdue en route, c’est vraiment dommage.



pierrot-lili
19 janvier 2017 à 15 h 57 min

J’ai acheté ce matin ce premier roman, page de fin atteinte dans le métro en deux heures (j’ai raté ma station !!) avec un sentiment indescriptible de plaisir et d’étrangeté et de singularité et… de littérature :)… C’est magnifique, poignant, une histoire belle et inoubliable sur la guerre à travers le regard d’un enfant qui ne parle pas. On a envie de prendre dans les bras tous les personnages et les remercier d’exister.



    19 janvier 2017 à 18 h 17 min

    Je suis bien incapable de lire près de 300 pages en deux heures mais je sais que je suis lente. Et surtout je prends des notes en lisant ce qui me ralentit.
    C’est bien un des avantages du métro, pouvoir lire plus.
    Je suis certaine que ce roman aura beaucoup de succès. Et personnellement, je relirais sans aucun doute cet auteur.



      pierrot
      19 janvier 2017 à 19 h 35 min

      Comme le prends RER et train tous les jours 🙁 je suis devenu un obsessionnel du « lire vite ou tu crèves », car le soir je suis rincé, donc 1 heures pour 130 pages, 2 heures pour deux cents 60 pages et comme le le livre fait 270 pages je crois bien, là j’ai speedé.



Justine Struelens
20 janvier 2017 à 11 h 37 min

Hé bien, tout d’abord as-tu commenté sur ton Blog le dernier Pennac, j’aimerai bien l’y voir), j’ai intriguée acheté ce matin ce « Frank Dragon » de Stéphane A. et voilà ma ce que j’en pense. J’ai été convaincu, mais à l’inverse j’ai eu du mal y entrer et ensuite j’ai adoré jusqu’à la fin. J’aurai donc pu décrocher au début. Stéphane Arfi nous amène du coté de la vie pour mieux nous faire voir qu’elle est ce qu’elle est : belle, idiote, cruelle, étrange. Les passages où le héros croise Louis Ferdinand Céline qui le soigne (en tant que docteur fou-furieux) ou lorsque Franck Dragon s’installe en SDF devant l’immeuble d’Albert Camus complète ce roman de sa touche personnelle qui donne envie de réfléchir ou d’être songeuse pour aller mieux.



    20 janvier 2017 à 12 h 03 min

    Non, je n’ai pas prévu de lire le Pennac. Parce que je pense, peut-être à tort, qu’il faudrait que je relise avant la saga Malaussène.
    C’est ce qui est génial avec la lecture, chacun y trouve son bonheur.
    Ta vision donne du sens au titre, la vie magnifique malgré l’horreur.
    Une chose est certaine, si on en croit les commentaires, il y a bien une différence entre les deux parties, sûrement liée à l’évolution du personnage. C’est peut-être ce que je n’ai pas su intégrer.
    En tout cas, ce roman produit les meilleurs commentaires sur mon blog et je vous en remercie.



      Justine Struelens
      20 janvier 2017 à 12 h 37 min

      C’est sympa. Quant à Pennac, non vraiment, tu peux lire le dernier sans avoir lu les autres (enfin c’est mon avis) car il a fait, je trouve, l’effort de penser à ceux qui n’ont pas lu les précédents. Bravo pour ton blog, au passage.



20 janvier 2017 à 20 h 03 min

Hé bien dis donc, ce livre a le mérite de faire parler… En général, je suis sensible à tes lectures, je les ressens pareillement (nous parlons bien de ressentis, n’est-ce pas ! 😉 ), aussi je vais attendre un peu…



29 janvier 2017 à 20 h 26 min

J’ai ce roman dans ma PAL depuis quelques semaines mais je n’ai toujours pas pris le temps de le commencer. Pourtant, je pense qu’il a tout pour me plaire, notamment son aspect historique.



Laure Micmelo
30 janvier 2017 à 23 h 18 min

Je ne pense pas que je lire ce premier roman, tu sais être plus enthousiaste 😉



gabrielle
3 février 2017 à 21 h 48 min

Si je préfère, comme on dit chez nous en moselle, tu m’en as bien écœuré.



Amelie
17 avril 2017 à 12 h 31 min

Magnifique roman que je viens de finir, le coeur haletant. Une histoire simple, des sentiments somptueusement mis en avant dans une sorte de folie littéraire très contrôlée, je suis ravie de cette découverte. Merci.



Rose
18 janvier 2018 à 16 h 22 min

Très beau roman, vraiment, j’ai trouvé difficile de cerner les personnages de prime abord, mais une fois entrée dans l’histoire, je m’y suis laissée submergée, happée, par le flot de mots étranges, de poésie, de souffle romanesque et de trame narrative qui permet de découvrir un roman magnifique (il porte bien son nom !) alors même que certains passages sont très durs de réalisme et la fin tranche avec tout le roman, comme si on passait d’un beau roman à un autre beau roman différent avec le même personnage. Acheté sur la recommandation d’un libraire, je me suis surprise à adorer ce style si original et si inattendu dans la « littérature » d’aujourd’hui qui n’en est plus, de la littérature, mais c’est un autre débat. Bref, cette vie magnifique de Frank D. fait partie de ces livres qu’il faut lire et relire, qui font du bien, font réfléchir, s’interroger sur la vie, la liberté, la part de liberté qui nous reste malgré toutes les épreuves de la vie. Je range l’auteur Stéphane Arfi dans la catégorie Grand romancier !



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