Titre : L’ombre animale
Auteur : Makenzy Orcel
Littérature haïtienne
Editeur : Zulma
Nombre de pages : 352
Date de parution : 7 janvier 2016

 

Une voix d’outre-tombe

La narratrice vient de mourir. Allongée sur les haillons de sa paillasse, elle a enfin droit à la parole. Dans un long monologue, un flot verbal souvent sans ponctuation, elle raconte la vie de sa famille dans ce village misérable. Makenzy, son père n’est qu’un tyran égoïste qui noie ses souvenirs dans la bouteille. Toi, sa mère, comme toute femme, n’a pas droit à la parole. Son frère, Orcel, s’est lui-même retiré dans le silence depuis qu’il a assisté à une horrible scène. Il faut dire que la violence est partout dans le village. On décapite pour s’accaparer une terre, les jeunes enfants meurent subitement, certains quittent le village face à l’arrivée des loups qui exploitent les pauvres âmes.
La tradition vaudoue dit que les vivants sont dans le mensonge et que seuls, les morts, comprennent tout. Le cadavre de la narratrice voit enfin les abus de l’Envoyé de Dieu ou de l’Inconnu, la vie passée de l’Inconnue, la fuite du maître d’école, les magouilles de Makenzy. Elle peut aussi se projeter dans la vie future de sa famille partie à la capitale.

Exil vers la capitale

Makenzy, Toi et Orcel sont hébergés par la famille lointaine, une mère prostituée et indic pour l’Inspecteur et ses trois enfants. Toi fait le ménage pour les riches, Makenzy fait le tour des bordels et Orcel traîne d’une présence étrange et taciturne. Plus tard, Orcel en couple avec une mère de deux enfants survit de petits boulots, logeant dans un trou à rat.
A la capitale, les rivalités politiques ajoutent la violence à la misère. Une tentative de coup d’état fomentée par Fuckyou-Le-Dur met les rues en feu. 

Un long souffle poétique

Les femmes n’ont pas droit à la parole, ni à un prénom d’ailleurs. Dès leur plus jeune  âge, elles sont les jouets sexuels des hommes. Puis mariée de force, elles deviennent leur servante soumise aux viols et violences. Flanquée de leurs « cacas-sans-savon », elle s’acharne à être une bonne mère.

elle était pénible, la fougue avec laquelle Toi s’acharnait à être une mère de famille modèle et digne, quand j’y pense, je te jure, ça fait mal, machine à tout faire, elle se défonçait encore et encore, sans se plaindre, souvent avec une gaieté qui provoquait l’écoeurement, une sorte de reconnaissance envers cet homme qui l’avait arrachée à une mort certaine en la sortant de l’incommensurable indigence de ses géniteurs, ouvre tes jambes et ferme ta gueule

Et pourtant, les femmes sont souvent les piliers de la famille face aux hommes qui partent ou dérivent dans les bars.
Ici, la narratrice se déverse dans un flot bavard, parlant de tout et de rien, s’adressant à ce « tu », lecteur ou son frère. C’est un flux, un rythme qui déroule toute la misère et la violence de son village haïtien puis de la capitale. Finalement, dans ce kaléidoscope, derrière ces ombres animales, le destin d’Orcel se dessine.

Un roman sombre et incandescent, totalement dans l’univers de Makenzy Orcel.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

23 février 2022 à 17 h 05 min

Oh, ça fait terriblement envie !! Merci, je ne connaissais absolument pas cette auteure..



28 février 2022 à 14 h 17 min

Même si la narratrice déverse son flot de paroles, tu as apprécié ce roman ? Cela m’aurait gêné, je pense.



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