Titre : Norte
Auteur : Edmundo Paz Soldan
Littérature bolivienne
Titre original : Norte
Traducteur : Robert Amutio
Éditeur : Gallimard
Nombre de pages : 352
Date de parution : Octobre 2014
Auteur :
Edmundo Paz Soldán, né à Cochabamba (Bolivie) le 29 mars 1967, est un écrivain et traducteur hispanophone.
Il est professeur associé en littérature hispanique à l’université Cornell (États-Unis). À partir de 1990, il publie à un rythme irrégulier romans et des recueils de nouvelles. Il obtient le « prix national du livre » (Premio Nacional de Novela) en Bolivie pour son roman El delirio de Turing. Il est également lauréat du prestigieux Prix Juan Rulfo 1997 pour sa nouvelle Dochera. Ses œuvres ont été traduites en anglais, en français, en danois, en finnois, en polonais, en grec, en russe, et prochainement en italien et en portugais
Présentation de l’éditeur :
Trois destins, trois époques, une frontière.
Le roman, inspiré de personnages réels, commence en 1984, dans le nord du Mexique, avec Jesús, un adolescent obsédé par la beauté de sa sœur et qui, au fil des années, va devenir le Railroad Killer, l’un des tueurs en série les plus recherchés par le FBI à la fin du XXe siècle. Véritable descente aux enfers, son périple de sang et de sexe dessine une autre carte de la frontière et nous révèle mille routes secrètes pour la traverser.
Nous partons ensuite en Californie où, dans les années 30, Martín Ramírez, un paysan sans papiers, est sur le point d’être envoyé en hôpital psychiatrique. Incapable de parler, il peint inlassablement des hommes à cheval et des scènes de guerre qui finissent par attirer l’attention des médecins mais aussi de la critique. Ramírez est aujourd’hui considéré comme l’un des grands maîtres de l’art brut contemporain aux États-Unis.
Enfin, nous retrouvons, au début des années 2000, Fabián Colamarino, brillant professeur universitaire au Texas. Sa lutte et sa déchéance sont racontées à travers les yeux de Michelle, une ancienne étudiante bolivienne avec qui il entretient une liaison coupable et passionnée.
À travers une langue tantôt onirique et émouvante, tantôt proche du réalisme plus dur d’un Bret Easton Ellis, Edmundo Paz Soldán excelle à décrire ces trois expériences du déracinement et de l’exil, et nous rappelle avec brio que la porte vers le Norte n’est pas toujours celle de l’Eldorado.
Mario Vargas Llosa nous avait prévenus : «Il s’agit de l’une des voix les plus novatrices de la littérature latino-américaine d’aujourd’hui.»
Mon avis :
Norte est le premier roman d’Edmundo Paz Soldan traduit en français. Ecrivain bolivien installé aux Etats-Unis, l’auteur connaît les avantages et inconvénients du passage de cette frontière latino-américaine.
Terre d’exil, l’Amérique est un eldorado pour les boliviens, mexicains et autres sud-américains.
D’un côté, la misère, la colle et le sotol (eau de vie mexicaine), les révoltes et la peur et de l’autre un emploi, la culture, de la vraie drogue mais l’éloignement des racines et surtout des familles.
Jesus, Martin et Fabian et son amie Michelle vivent ce déracinement en plongeant dans la violence, la folie ou la dépression.
Les trois récits s’intercalent, sont indépendants mais tournent autour de la noirceur consécutive au passage de la frontière. L’histoire de Michelle et Fabian, contemporaine insère la mémoire de Jesus, The Railroad killer et de Martin, peintre autodidacte devenu célèbre après sa mort.
L’histoire prépondérante de cet adolescent, Jesus, obsédé par la beauté de sa sœur, détraqué à force de sniffer de la colle et de boire du sotol est d’une grande violence. Lors de sa première peine de prison, il vit la cruauté des autres pensionnaires et entend pour la première fois la voix de l’Innommable.
» La force qui lui rendait visite avait ni visage ni corps. Elle lui disait qu’il lui appartenait, qu’il avait pas de volonté propre et qu’il devait faire ce qu’on lui dirait. Qu’il était à moitié homme et à moitié ange et qu’il pouvait pas mourir.. Qu’il se tienne prêt à la pluie de feu et de cendres, et aux inondations qui l’attendaient dès qu’il sortirait de prison. Qu’il se trouvait là seulement pour se préparer à accomplir sa mission purificatrice. C’était la traversée du désert avant l’affrontement final. »
Les âmes sensibles seront choquées par cette description de meurtres sordides, sanguinaires. Aucune compassion ne peut être ressentie pour cet être sauvage même si l’auteur évoque les conditions difficiles de l’enfance et de la prison.
» Ce contact avec le danger, cette plongée dans l’excitation hors de tout contrôle lui avaient fait connaître le bonheur total. »
Martin Ramirez a laissé sa femme et ses enfants au Mexique sous le joug des fédéraux, pour construire des voies ferrées en Amérique. Retrouvé mutique dans les rues, Martin se retrouve en hôpital psychiatrique à Stockton. Il ne peut communiquer son angoisse qu’au travers de ses dessins et collages. C’est un être touchant dans sa fragilité et son amour pour sa famille et ceux qui le soutiennent.
Fabian Colamarino est professeur de littérature à Landslide, en rupture avec l’autorité des doyens, plongeant facilement dans l’alcool et la drogue pour oublier sa première femme, Mayra, repartie à Saint Domingue et son échec littéraire.
» Aux States, il y a de la place que pour un seul « grand écrivain étranger » à la fois. »
Fascinée par son professeur, Michelle, étudiante bolivienne devint sa maîtresse avant de quitter ses études pour écrire des bandes dessinées hantées de zombis. Michelle s’épuise dans cette relation avec un homme cynique et désabusé, « Perdus dans l’incertitude de l’amour et de l’absence d’amour« .
Ces trois destins de « latino-américains perdus dans l’immensité des États -Unis » sont d’une grande noirceur. La lecture du roman est certes un choc mais elle nous met face à la violence de l’immigration, à la douleur de l’exil, à l’impossible retour, à la folie germant dans les faibles esprits d’êtres qui se sentent exclus.
La phrase d’une animatrice américaine d’une émission d’information : » avec des lois laxistes sur l’immigration, le pays serait bientôt non seulement envahi par tous les mexicains, mais il allait être contaminé par la violence impitoyable qui sévissait là-bas. » et la prépondérance du récit violent des actes de Jésus nous incitent à regretter ce flux migratoire. Mais cette phrase généralisatrice peine Rafael Fernandez, policier d’origine mexicaine et parvient à tempérer ces positions trop rapides.
Edmundo Paz Soldan a un style qui retracent la véracité de ces destins perdus. Sa force et sa provocation nous entraînent irrémédiablement vers la descente aux enfers des personnages. Violent, parfois insoutenable mais criant de réalisme.
Commentaires
C’est un très beau billet et je note ce livre, j’aime bien les histoires de différents personnages. Je connais assez peu les histoire d’immigrants sud-américain, sauf si ce n’est des mexicains qui viennent travailler par ici en laissant souvent leurs familles de longs mois.
Bref ça m’intéresse.
Merci. Le sujet est particulièrement bien traité.
Tu as écrit là un très beau billet pour présenter ce livre.
Moi aussi, de temps en temps, je mets en garde les « âmes sensibles ». Je ne me fais pas d’illusion, je n’en fais plus partie depuis longtemps.
Merci. Je supporte mieux ce genre de scènes en lecture, je fermerais les yeux souvent devant les mêmes scènes au cinéma.
Un sujet dur, tout de même.
Oui. J’avoue que le tueur en série fait froid dans le dos…et les autres sont bien paumés aussi.
quel joli billet! qui tombe à pic pour moi qui ai envie de me plonger dans l’univers hispanophone!
Et ce n’est peut-être pas fini puisque mai est le mois espagnol.
Je pense que l’écriture pourrait me plaire, non?
Oui, je pense que ça peut te plaire