Titre : Cicatrice
Auteur : Sara Mesa
Littérature espagnole
Titre original : Cicatriz
Traducteur : Delphine Valentin
Éditeur : Rivages
Nombre de pages : 223
Date de parution : 19 avril 2017

Dans Quatre par quatre, Sara Mesa tissait une histoire ambiguë et cruelle dans une école privée espagnole, illustrant avec ce microcosme une image de la dictature.
Je retrouve avec Cicatrice, cette façon de porter une histoire perverse sans jamais choquer le lecteur grâce à une complexité et une évolution inattendue de ses personnages, une image intelligente du monde moderne plongée dans les amitiés virtuelles et la surconsommation.

Dès le premier chapitre, nous assistons à une scène énigmatique et scabreuse. Les chapitres suivants, en remontant dans le passé éclairent la situation. Et cette construction se répète tout au long du récit.
Sonia, vingt-deux ans, est stagiaire en saisie informatique. Elle vit avec sa mère, sa grand-mère et ses demi-frère et soeur. Enfant, elle avait l’habitude d’inventer sa vie. Passionnée de littérature, elle s’inscrit sur un club de lecture en ligne. Elle apprécie les échanges cordiaux avec d’autres membres et décide de participer à un dîner à Càrdenas, à sept cent kilomètres de sa ville.
Tous les hommes qu’elle y rencontre sont décevants. Les relations virtuelles sont parfois plus riches que la réalité.
Sur le forum, à son retour, elle reçoit un message privé de Knut Hamsun:
«  Tu m’envoies une photo pour que je puisse te voir. Moi, en échange, je t’envoie les livres que tu me demandes. Tu peux m’en demander plusieurs. Il n’y a pas de problème. »
Malgré les mises en garde, Sonia se laisse convaincre. Elle reçoit rapidement un carton de douze livres, tous neufs.
Leurs conversations virtuelles deviennent de plus en plus riches. Knut se révèle un guide littéraire ambitieux, un être qui refuse toute contrainte sociale mais aussi un kleptomane bien entraîné.
Sonia se laisse séduire par cette avalanche d’attentions. Les colis sont de plus en plus volumineux avec des livres, des CD, des parfums puis de la lingerie, des chaussures, des vêtements de marque.
Knut ne lui demande rien d’autre que sa présence en échange, simplement discuter littérature, la pousser à écrire des nouvelles.
Plusieurs fois, Sonia, inquiète par cette présence étouffante, tente de couper les ponts. Elle se marie, a un enfant. Mais Knut revient toujours vers elle. Il se crée une relation étrange entre ces deux personnages. Qui a besoin de l’autre? Qui profite de l’autre?
Kleptomane, fétichiste, Knut assouvit ses fantasmes en imaginant Sonia dans les sous-vêtements qu’il vole pour elle. En prenant le surnom d’un écrivain maudit ( Knut Hamsun, écrivain norvégien banni pour avoir été soutenu par les nazis), l’homme affichait son tempérament.
Sonia, incapable de profiter de tout ce que Knut lui envoie, a besoin de cette attention d’autrui. Il l’oblige à se dépasser. D’ailleurs, elle ne semble tirer aucune reconnaissance de son mari, de son fils ou de son travail.
«  Il faut persévérer, être constant, comme dans la vie en général. C’est la seule voie pour tirer le meilleur de soi. »

Au-delà de cette relation fascinante entre deux personnes esclaves de leurs obsessions, Sara Mesa met en évidence ce monde moderne où les relations virtuelles prennent le pas sur les relations familiales, ce monde où l’abondance entraîne une course infinie vers le besoin de possession. En tant que lecteur compulsif, combien sommes-nous à vouloir engranger toujours plus de livres que l’on ne saurait lire?
Knut, en individualiste, critique tous les diktats de groupe, n’éprouve aucune culpabilité à voler des grandes chaînes de magasin qui font suffisamment de profits.
 » Le travail ne sert qu’à travailler plus. Je ne travaille pas, c’est sûr. Je consacre mon temps à acquérir des choses et à la contemplation de l’univers, ce qui est déjà bien assez. »
Son attitude met en exergue l’individualisme égoïste des sociétés modernes.
 » Ceux qui clament que ces multinationales représentent le capitalisme le plus atroce sont les mêmes qui s’y empiffrent de hamburgers et de cappuccinos dans des gobelets en carton, puis sortent et recommencent immédiatement à vociférer des slogans pacifistes. N’importe lequel d’entre eux, si tu lui voles son portable, se mettra à hurler, à te taper dessus et, à la limite, trouvera tout à fait justifié qu’on te torture au commissariat. Écrase le pied d’un autre, et tu verras comme la douleur lui fera oublier tous les enfants du monde mutilés par les bombes à fragmentation. »

Avec ces personnages très travaillés, Sara Mesa nous entraîne dans une relation addictive entre deux êtres solitaires, mal à l’aise dans leur environnement mais en profite aussi pour alerter sur cette société individualiste et les dangers de relations virtuelles.
J’aime cet univers ambigu, passionné et mon intérêt est resté sans failles jusqu’à cette fin énigmatique qui laisse une place à toutes les possibilités que l’auteur a pu glisser dans son récit.
Cette jeune romancière espagnole s’inscrit parmi les auteurs que je ne manquerais pas de suivre.

 

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires





19 mai 2017 à 20 h 10 min

Le problème avec tes chroniques c’est qu’on a toujours envie d’engranger plus de livres qu’on ne le saurait 😀



21 mai 2017 à 17 h 01 min

Oh oh ! Voilà qui me semble prometteur ! Je le note illico, et je crois bien l’avoir vu à ma librairie.



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