Titre : Immensités
Auteur : Sylvie Germain
Editeur : Gallimard 
Nombre de pages : 194
Date de parution : janvier 1994

Prague, un immeuble de déclassés

Prokop Poupa était professeur de lettres à Prague. Mais comme beaucoup de ses amis habitant son immeuble, il ne peut plus exercer son métier. On lui a retiré son passeport, il vit en liberté surveillée en faisant l’homme de ménage. Divorcé deux fois, il est le père d’une adolescente, Olinka qu’il ne voit que rarement et d’un jeune garçon, Olbram dont il a la garde alternée. Il vit dans un petit appartement souvent en désordre et passe beaucoup de temps à méditer dans les toilettes où une tache d’humidité au plafond l’inspire particulièrement.

C’est la fleur du temps qui passe.

En débattant avec ses amis, au bar de l’Ourson blanc, il convainc tout le monde que le dieu Lare réside en ce lieu de méditation, véritable école d’humilité.

Prokop, un homme marqué par le destin

Prokop est un homme touchant. Marqué par la mort de sa mère et de sa soeur, ébranlé par ses deux divorces et surtout par la trahison de Marie, empêché d’exercer son métier, l’homme garde toutefois confiance en la vie.

On ne meurt pas si souvent de ses chagrins, de ses deuils, de ses échecs ou de ses hontes. On ne meurt jamais au moment voulu. On se relève en ahanant, un peu plus vieux et plus pesant, et on perdure tant bien que mal; on ruse comme on peut pour redresser son coeur tout de guingois. Et on se dit que ça ira, à défaut de pouvoir déclarer que ça va.

Prokop transmet des leçons de vie à ses enfants. Les contes qu’il leur lit sont de belles images d’espoir et de lumière.
Lorsqu’Olbram le quitte pour suivre sa mère et son nouveau mari en Angleterre, Prokop doit se consoler avec le dernier cadeau de l’enfant, la lumière de la lune.
Mais lors d’une séance de méditation aux toilettes, sa bedaine et son corps flasque lui rappellent qu’il n’a plus rien à offrir. Le père abandonné, souffrant de solitude, repart dans ses questionnements métaphysiques. Notamment sur le silence divin.

Absence de Dieu et signes d’espoir

Le questionnement divin est une constante chez l’auteure. Elle aime à juxtaposer les extrêmes : le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, l’amour et la haine, l’irréel et le tangible.
A Prague, plus qu’ailleurs à cette époque, il est difficile de croire en Dieu. Et pourtant, le regard d’une mendiante dans un miroir piqueté, le sourire d’un chien, la patience d’un arbre qui offre jusqu’à son ombre sans jamais rien recevoir, le mystère d’une statue, l’âme d’un chemin nous livrent tant de messages lorsque l’on sait ouvrir ses paupières endolories et apprendre à voir à nouveau.
Prokop est hanté par toutes ces questions auxquelles il ne trouve de réponse. Après la révolution, il refuse le poste de professeur qui lui est proposé. Il ne reconnaît plus ses enfants, perdus dans le chagrin d’un amour ou la profusion de l’occident.

Prokop n’était plus…Il n’était qu’un animal humain qui ruminait du vide et qui avançait à pas lourds vers son temps de déclin.

La nature, signe du divin

Sylvie Germain porte une vraie foi en la nature. Que ce soit dans le texte proposé cette année au bac de français ou dans son roman A la table des hommes, l’auteure décline, en utilisant souvent l’imaginaire et le conte, le passage de l’animal à l’humain. Ici, lors de paragraphes particulièrement sublimes, elle met en lumière la patience de l’arbre ou l’âme d’un chemin. Alors que l’homme porte en lui le poids de péchés millénaires, depuis les traîtrises de Caïn, Pilate ou Judas, il souffre de la détresse des déchus. Les esprits et les lumières de la nature ne sont-ils pas alors une compensation au silence divin?

Sylvie Germain a vécu à Prague de 1986 à 1993. C’est là qu’elle a écrit Jours de colère ( Prix Femina 1989). Prague et la douleur de ceux que la Révolution de 1989 n’a pas libérés est la toile de fond de ce roman Immensités écrit en 1994. N’en déplaise à quelques lycéens, Sylvie Germain est une grande auteure qui a beaucoup à transmettre. Tant sur la richesse du vocabulaire, les figures  de style que sur la perception de l’humanité, le sens de la vie.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

24 juillet 2022 à 14 h 27 min

Je viens de terminer Jours de colère, un texte très fort.



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