Titre : L’homme-dé
Auteur : Luke Rhinehart
Littérature américaine
Tire original : The dice man
Traducteur : Francis Guévremont
Editeur : Aux forges de Vulcain
Nombre de pages : 560
Date de parution : 31 mai 2024
Une vie dans l’impasse
Luke est psychiatre. Marié à Lilian, il a deux enfants. Malgré ce bonheur familial, Luke sent le poids de la vie routinière et ennuyeuse d’un homme marié qui a réussi.
La vie, c’est quelques îles d’extase au milieu d’un océan d’ennui, et, après trente ans, il devient rare d’apercevoir la terre ferme.
Un peu jaloux des succès littéraires de son collègue, Jakob Eckstein, Luke est en panne d’écriture. Son livre sur l’évolution du sadisme au masochisme est en rade. Et son chef, Thomas Mann, le lui reproche sévèrement.
De plus, Luke se pose des questions sur l’avancée des thérapies de ses clients.
La personnalité humaine est la somme finale de toutes les limites et de tous les potentiels de l’individu. Si vous privez l’individu de ses habitudes, de ses compulsions, de ses pulsions, vous le privez de lui, il n’a plus de personnalité.
Irruption du hasard
Un soir de poker, alors que tous les invités sont repartis, Luke trouve dans le canapé une carte, la dame de pique, et un dé. Une idée l’assaille. Si le dé affiche un Un, il descendra à l’étage du dessous, violer Arlène, la femme de Jakob.
Ce viol m’avait été imposé par le destin. Je n’étais pas coupable.
Là commence la nouvelle façon de vivre de Luke. Jouer sa vie au dé. Certes, le joueur garde un semblant de libre arbitre puisqu’il choisit les options assorties à chaque face du dé. Il peut même y associer des probabilités de succès.
Au fil du temps, le psychiatre intensifie sa pratique. Il l’applique à sa famille, à ses patients et de plus en plus souvent dans sa vie privée et professionnelle.
Tuer le moi
Pour Luke Rhinehart, cette manière de décider de sa vie est une façon de se libérer du Moi. L’homme est composé de multiples facettes dont la plupart sont opprimées par le Moi dominant.
Nous refusons d’admettre qu’une pulsion minoritaire puisse potentiellement représenter un homme tout entier. Tant qu’elle n’aura pas eu le droit de se développer comme le moi conventionnel dominant, la personnalité dans laquelle elle habite restera divisée, sujette à des tensions pouvant parfois aller jusqu’à des explosions et des émeutes.
Oser des situations refoulées par l’intermédiaire du hasard permet de libérer tous ses fantasmes. Et le jouer peut alors tout se permettre. Plus de barrières. Et il faut avouer que Luke pousse le jeu très loin.
J’étais un américain, je devais donc tuer.
Livre culte du XXe siècle
Publié dans les années 70, juste après la période des cultures alternatives comme le mouvement hippie, ce roman capte l’attention d’une société en quête de liberté. A l’image des centres-dés, certaines sectes ont dû y trouver une source d’inspiration.
Toutefois, si le narrateur s’appelle Luke Rhinehart, ce roman n’est pas autobiographique. En effet, l’auteur n’était pas psychiatre. Mais cela donne encore plus de puissance à son sujet. Il joue un rôle, sûrement sur le résultat d’un lancer de dé.
Une lecture mitigée
L’expérience de jouer ses actions aux dés est particulièrement intéressante. Et j’ai aimé les réflexions philosophiques liées à cette façon de vivre. La libération du Moi, une éducation sans peur de l’échec ou du jugement, une possibilité de vivre et ressentir tous les rôles, une façon de se libérer de la pression de la société, la déculpabilisation. C’est, selon l’auteur, une alternative aux thérapies occidentales sans succès dans un monde plus fou qu’un asile.
Par contre, je regrette que Luke Rhinehart se complaise dans les scènes scabreuses. Bien évidemment, oser vivre ses fantasmes, ses pulsions refoulées entraîne inévitablement vers l’immoral. Malheureusement, l’auteur y prend un peu trop plaisir, faisant de son héros, un personnage malsain, déplaisant et fuyant.
Le lecteur s’enlise souvent dans les scènes débridées de sexe ou de violence.
Je comprends que ce roman puisse dérouter certains lecteurs, et notamment mes deux co-lectrices de cette lecture commune. Virginie (@little_lecteur) qui m’a accompagné sur Instagram a un ressenti semblable au mien. Je les remercie toutes les trois pour leurs échanges en cours de lecture.
Commentaires
Scabreux, ce n’est pas pour moi… Mais le sujet est fascinant bien sûr.
C’est toute la particularité de ce roman. Un sujet très intéressant mais noyé dans les expériences amorales.
Bravo pour ce billet que j’aurais été bien incapable d’écrire et merci de m’avoir accompagnée pendant mon début de lecture. A 300 pages, je pense que je l’aurais lu jusqu’au bout mais là, plus de 500 avec une police minuscule, impossible… Le narrateur cherche à se libérer du Moi mais ne parle que de lui tout le temps et vraiment, il ne m’intéresse pas.
Ta remarque est pertinente, il est très égocentrique.
Ce qui m’a surtout dérangé, ce sont ces longues dérives dans le sexe ou la violence. Je pense qu’on pouvait alléger ces descriptions pour s’intéresser davantage à l’analyse.
Mais ce côté dérangeant est sûrement une des raisons de son succès dans les années 70.
Ah, je ne savais pas que Sandrine avait aussi abandonné, cela me rassure un peu.. dommage, je m’attendais vraiment à être emballée par ce roman, qui a provoqué un ennui mortel au bout d’environ 150 pages.. Je trouve moi aussi cette idée de jouer sa vie aux dés très intéressante, mais il m’a semblé que le récit n’en était pas à la hauteur, et que l’écriture manquait de piment, en quelque sorte…
En tous cas, bravo pour ta persévérance, et désolée de t’avoir laissée tomber !
Jouer ses décisions aux dés ou aux cartes ? Voilà une idée de roman géniale. Mais ton dernier paragraphe me refroidit un peu.
J’avais eu aussi un ressenti mitigé. C’est un ouvrage qui pose des questions intéressantes mais qui est clairement sexiste et homophobe.
Oui il y a des passages assez insupportables