Titre : Leçons pour un jeune fauve
Auteur : Michela Murgia
Littérature italienne
Traducteur: Nathalie Bauer
Titre original : Chirú
Éditeur: Seuil
Nombre de pages : 272
Date de parution : 5 janvier 2017

Michela Murgia a la terre de ses origines dans le sang. Ses premiers romans nous plongent à la fois dans l’enfance et dans l’univers sarde.
Si nous sommes ici à Cagliari et que l’atmosphère sarde est bien présente, le récit de cette relation entre une actrice proche de la quarantaine et un jeune violoniste de dix-huit ans pourrait être universelle.
Eleonora est une femme entière n’ayant besoin de personne ( ou presque) parce que son enfance avec un père caustique et violent ( on le suppose même si la narratrice ne laisse passer que des allusions) lui a appris que « seuls grandissent ceux qui ne sont pas rêvés. »
C’est pour compenser le regard blessant de son père qu’elle a eu la volonté de faire de la comédie, de s’engager au théâtre, de passer une audition avec un célèbre metteur en scène épaulée par Fabrizio qui devient son mentor et son amant.
 » La seule chose qui importe à ce genre d’homme, c’est que ta compréhension des choses n’excède pas la sienne. »
Adulte, elle souhaite aussi aider des élèves à devenir ambitieux. Lorsqu’elle rencontre Chirú, elle se reconnaît en lui.
«  Malgré son très jeune âge ( moins de dix-huit ans peut-être), son regard trahissait une blessure, comme s’il observait le monde d’un point de vue déjà faussé. »
Elle lui apprend les femmes en parlant de Cosi fan tutte, l’emmène chez un tailleur pour comprendre l’importance des tissus et des gens par leur costume, l’introduit dans le monde du spectacle lors d’une soirée chez un producteur, « en ces lieux, haïr quelqu’un était aussi normal qu’il était inconvenant de le montrer. »
«  Si je ne parvenais pas à débusquer chez lui la passion, la générosité et la vision du vrai talent, je le doterais au moins des outils nécessaires pour saisir la différence entre la possession d’un don et la capacité beaucoup plus utile de saisir les opportunités. »
L’accompagnement d’un élève évolue inévitablement vers des sentiments d’admiration, des confidences, voire de l’attirance physique. Eleonora le sait pour avoir vécu précédemment une expérience difficile avec un autre élève. Dans son rôle de mentor, elle est à la fois la mère, le professeur et la maîtresse pour ces jeunes élèves. Elle en est consciente et tente de s’en prémunir, redoutant pourtant le moment où elle devra cesser son accompagnement.

 » J’aurais aimé le protéger contre ces blessures que nous traitons de « sentiments familiaux » et l’empêcher de répéter les mêmes erreurs que moi, mais certaines vérités ne s’héritent que de soi-même. »

Sans être d’accord sur toutes les leçons, quel régal de suivre ces rapports humains entre les personnages. Michela Murgia effleure les sentiments, laissant le lecteur comprendre les doutes, les attirances, les ambiguïtés.
Et il y a bien sûr cette âme sarde qui s’exprime encore davantage face aux comportements des suédois lorsque Eleonora se rend à Stockholm pour une tournée théâtrale.
En Suède, «  l’âme dérangeante de l’art était un prix trop élevé à payer pour une harmonie sociale aussi efficace. »
Alors qu’en Suède, « sortir de la moyenne n’est pas vu d’un bon œil« , l’Italie a le culte de l’exception individuelle.

Chirù, avec son sourire « entre l’effronterie et la timidité » devient pour celle qu’il juge « malheureuse avec classe » un « arestixeddu » (jeune fauve en sarde). Et l’on ne sait plus lequel des deux aide l’autre.

Ce roman est une lumineuse confrontation, un récit où les rapports humains sont décortiqués, dévoilant passion et ambiguïté. Un roman intelligent qui insiste sur l’analyse des comportements,un récit que je rapprocherais du roman de Ian McEwan, L’intérêt de l’enfant. Un roman comme je les aime.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

Fabiola
23 avril 2017 à 15 h 56 min

Très bonne analyse de ce livre que je partage totalement! Bravo! (Roman lu en langue italienne), J’ai hâte de voir si la traduction respecte bien le style de l’écrivaine). Merci 🙂



1 mai 2017 à 21 h 07 min

Je rebondis grâce à ton article-bilan sur cet article. J’avais adoré Accabadora. Un peu moins « La Guerre des saints » même si je retrouvais la belle écriture de l’auteure. Tu me donnes bien envie de le lire en tout cas, merci!



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