Titre : Révérends pères
Auteur : Jean-Marc Turine
Littérature belge
Editeur : Esperluète
Nombre de pages : 128
Date de parution : mars 2022

 

La mémoire du corps

Jean-Marc Turine écrit sur son enfance et son adolescence. Des faits qui se sont déroulés il y a plus de soixante ans. Si la mémoire est parfois défaillante, le corps ne peut oublier. Déjà en 1978, l’auteur avait tenté d’écrire l’horreur sur quelques pages. Puis il a consacré sa vie à l’écriture, à la réalisation d’émissions ou de films sur des apprentissages de vie douloureux. En 2018, une scène entre un homme âgé et un jeune homme lui remet cruellement en mémoire l’horreur de sa scolarité dans un collège jésuite. Si il n’a jamais souhaité dénoncer ses agresseurs ou se venger, il se doit d’écrire cette histoire avant de mourir.

Une enfance meurtrie

La scolarité de Jean-Marc Turine débute mal. En maternelle, pour avoir embrassé une petite fille, l’enfant de cinq ans reçoit une gifle d’une religieuse. Il en gardera toujours un dégoût profond de l’école. En septembre 1959, il entre au collège Saint-Michel de Bruxelles en sixième latin-grec. Ce collège est dirigé par les Jésuites. Ce cancre à la gueule d’ange se fait vite repéré par le père C., le titulaire de sa classe.

Le père W. avait la conviction de pouvoir me broyer d’un mot, d’un regard, sa suffisance glacée, sa jouissance à pouvoir décider de qui vivra et de qui mourra s’est brisée dans mes yeux, c’est moi qui l’ai écrasé.

Si le père W. le convoque régulièrement pour le réprimander pour le travail non fait, c’est dans la chambre du père C. qu’il découvre que les mains faites pour prier peuvent aussi être baladeuses.

Cette main, ne pardonnait-elle pas les péchés de ceux qui s’en confessaient lorsqu’elle effectuait le signe de crois en signe d’absolution?

Plus tard, il y aura le vieux et puant père D. , le photographe puis le jeune père L., un professeur de français dynamique obsédé par la vierge Marie.

Ils ont bousillé des années entières de ma vie.

Un récit troublant d’honnêteté

On peut s’interroger sur autant d’acharnement. Ce texte est surtout intéressant pour le questionnement intime de l’auteur. Si il a l’impression d’être une autre version de ce jeune garçon qui a subi ces violences, un dédoublement salvateur, il ressent aussi de la culpabilité doublée d’une honte brûlante.

Comment s’est-il fait que j’ai accepté toutes ses convocations sans réagir?

Telle une femme battue qui ne peut se défaire de son tortionnaire, l’enfant vivait « sous occupation. » Même à dix-sept ans, avec le père L., il ne pouvait se résoudre à sortir de cette emprise, craignant les menaces suicidaires de celui qui lui a aussi ouvert une porte vers la littérature et la poésie.

L’écriture salvatrice

Quelques bribes de son quotidien montrent l’aveuglement et le détachement des parents. Seul son ami Joseph, brutal et bagarreur, aurait pu être son confident si un déménagement ne les avait éloignés. L’enfant est seul et pris au piège.

L’Eglise ressemble furieusement à un parti politique : il est illusoire d’imaginer pouvoir la/le changer de l’intérieur. Soit tu adhères, soit tu la/le quittes. L’Église est une machine à écraser, à ruiner, à broyer toute velléité de changement en son sein.

Alors, il reste l’écriture. Celle qui permet de comprendre, même soixante ans plus tard mais surtout de dire. Certes les témoignages sont aujourd’hui nombreux et ils commencent à être entendus. Mais quand ils ont la force et la sincérité de celui-ci, la qualité stylistique d’un poète, ils prennent une dimension supplémentaire.
Un cri douloureux, un récit sincère  qui ne peut que nous révolter.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

18 avril 2022 à 17 h 56 min

J’ai beaucoup aimé La Théo des fleuves de Jean-Marc Turine mais je ne sais pas si j’aurais le courage de lire ce livre…



alexmotmots
18 avril 2022 à 19 h 05 min

Un peu trop personnel pour moi. Je passe mon tour.



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