Titre : La maison vide
Auteur : Laurent Mauvignier
Editeur : Editions de Minuit
Nombre de pages : 752
Date de parution : août 2025
Redonner vie aux ancêtres
L’auteur revient sur les lieux de la maison familiale, celle où son aïeul , avait autrefois planté un cerisier. Aujourd’hui, l’arbre a tant poussé qu’on pourrait cueillir ses fruits depuis le lit de la chambre. Mais à l’intérieur, rien n’a changé : le vieux piano, les photos de famille, et cette commode en bois surmontée d’un plateau de marbre, toujours ébréché au même coin. Dans ce décor figé, le narrateur part à la recherche de la décoration de la Légion d’honneur de Jules. Il ne la trouve pas, mais découvre à la place des photos lacérées de Marguerite, sa grand-mère.
Que reste-t-il d’une famille quand ses membres ont disparu ? Quelques noms sur un arbre généalogique, des photos, des fragments d’histoires transmises au fil des générations ? Avec les maigres éléments dont il dispose, l’auteur tente de reconstruire le passé. Il cherche à peupler de mémoire cette maison vide, à faire revivre ceux qui n’ont laissé que peu de traces.
« C’est parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure, à partir de faits vérifiés, de gens ayant existé, mais dont les histoires sont tellement lacunaires et impossibles à reconstituer qu’il faut leur créer un monde dans lequel, même fictif, ils auront chacun eu une existence. »
Une fresque familiale
Tout commence sur les champs de bataille napoléoniens. François-Marie Proust, combattant valeureux, y gagne ses terres et son titre. En 1854, il fait bâtir une maison où sont gravées les initiales FBP FMP — Fait Bâti Par François-Marie Proust. Son fils Firmin, confronté à un fils devenu prêtre et un autre jugé « efféminé », transmet l’héritage familial à sa fille, Marie-Ernestine. Brillante élève d’une école religieuse, douée pour le piano, elle reçoit les leçons de Florentin Cabanel, un homme marié qui éveille en elle une sensibilité artistique et littéraire. Elle rêve d’une carrière musicale. Mais ses espoirs sont brisés : son père la marie à Jules Chichery, employé prometteur mais fruste. Malgré l’achat d’un piano, Marie-Ernestine s’éteint lentement auprès de cet homme aimant mais incapable de comprendre son monde intérieur. Jamais elle n’aimera Marguerite, la fille née de cette union.
Trois générations de femmes dans un monde d’hommes
Si notre époque permet enfin de nommer les violences faites aux femmes, celles du XXe siècle ont longtemps été tues. Mariages arrangés, violences physiques ou sexuelles, injonctions à la soumission : les femmes de cette lignée n’ont connu ni choix, ni liberté. Pourtant, ce sont elles qui ont tenu les fermes et les entreprises pendant les guerres. La femme de Firmin, « préposée aux confitures et aux chaussettes à repriser », devient « la Patronne » pendant la Première Guerre mondiale — une figure respectée, autonome, efficace. Pourtant son prénom ne sera révélé qu’après sa mort.
Marguerite, quant à elle, grandit dans l’ombre d’un père glorifié et d’une mère indifférente. En quête de reconnaissance, elle sera la première à défier l’ordre patriarcal. Hélas, sa révolte la conduira vers d’autres formes de domination masculine.
Un roman au souffle naturaliste
Même partiellement fictionnelle, cette fresque familiale s’ancre dans une réalité historique dense, traversée par les guerres et les mutations sociales. Mais c’est surtout par son style que Laurent Mauvignier impressionne. Son écriture évoque les grandes œuvres du XIXe siècle, avec des descriptions naturalistes d’une précision rare. Il peut consacrer plusieurs pages à un enterrement, sans nommer le défunt, maintenant le lecteur dans une tension silencieuse. Cette attention au détail donne chair aux personnages, aux lieux, aux émotions — et permet une immersion totale dans l’époque.
Dans un paysage littéraire où l’introspection prime souvent sur le souffle narratif, Laurent Mauvignier se distingue par une plume puissante, exigeante, profondément humaine. C’est autant pour son ambition romanesque que pour la beauté de son écriture qu’il mériterait amplement de recevoir le Prix Goncourt.

Commentaires
Bonjour
Je ne pourrais pas mieux dire. Moi aussi j’ai été conquise par le style de Laurent Mauvignier dans ce roman et j’aurais aimé aller jusqu’à la génération suivante… La lecture de chacun de ses romans, particulièrement Des hommes et Dans la foule a été marquante.
Bonjour et merci pour ce commentaire.
Ce dernier roman met en évidence la qualité du style très XIXe siècle. Mais au niveau intensité, j’ai préféré Des hommes et Dans la foule
Il me tentait déjà… Maintenant, je vais le lire, c’est sûr !!
Ce roman vient de recevoir le Prix Landerneau 2025. Et je pense qu’il aura le Goncourt
J’en entends parler à la radio, certainement une prochaine lecture
On n’a pas fini d’en entendre parler. J’espère que tu pourras le lire et que tu apprécieras
A mon programme de lecture (plus ou moins proche). J’espère qu’il aura le Goncourt, il le mérite.
Je pense qu’il l’aura
Je l’ai dans ma liseuse, ce sera ma prochaine lecture, chic.
Tu ne peines pas à lire des pavés sur une liseuse ?
Enfin, de toute façon, avec cette qualité d’écriture, tu ne peux qu’oublier le support et te faire plaisir
Merci pour ce billet qui me donne envie de découvrir Laurent Mauvignier qui m’était totalement inconnu. Par chance, ma bibliothèque a Des hommes et Dans la foule, donc je prends bonne note du conseil.