Titre : La première femme
Auteur : Jennifer Nansubuga Makumbi
Littérature ougandaise
Titre original : The first woman
Traducteur : Celine Schwaller
Editeur : Métailié
Nombre de pages : 544
Date de parution : 1 mars 2024

 

 

Une enfance à Nattetta

Kirabo, douze ans, est une petite fille particulière. Elevée par ses grands-parents au village de Nattetta, elle est la préférée de son grand-père Miiro. Et pour se démarquer parmi la dizaine d’adolescents du clan, elle aime raconter des histoires. Comme  celle de cette mère qui avait caché sa fille dans une fourmilière. Car en ce pays, les pères exigent d’avoir un enfant mâle pour perpétuer la lignée. Mais ce qui tracasse surtout Kirabo, c’est le secret autour de sa propre mère qu’elle n’a jamais connue.
Aussi décide-t-elle d’aller rendre visite à Nsuuta, la sorcière aveugle du village, ennemie jurée de sa grand-mère Alikisa. Nsuuta reconnaît la fille rebelle en Kirabo. Elle en est fière. N’est-elle pas la fille de Tom, le fils de Miiro qu’elle a en partie élevé. Quand Kirabo lui avoue abriter en son corps un double maléfique capable de s’envoler, la vieille Nsuuta l’initie à l’état originel des femmes.

Nous n’étions pas comprimées à l’intérieur, nous étions immenses, fortes, audacieuses, bruyantes, fières, courageuses, indépendantes. Mais c’était trop pour les gens et ils s’en sont débarrassés. Cependant, il arrive que cet état renaisse chez une fille comme toi. Mais dans tous les cas, il est réprimé. Dans le tien, la première femme s’envole de ton corps parce qu’elle ne correspond pas à la société actuelle.

Car si les hommes ont la toute puissance reconnue, les femmes de ce roman ont un pouvoir discret mais certain.

L’adolescence hors du clan

Kirabo connaît désormais le nom de sa mère mais Nsuuta l’a convaincue de ne pas la déranger car son mari ignore son existence. Pourtant quand Tom décide de prendre Kirabo avec lui à Kampala, l’adolescente  espère rencontrer sa mère dans cette grande ville.
Rejetée par la nouvelle femme de Tom, Kirabo va vivre chez sa tante Abi. Cette femme célibataire, moderne fait l’éducation de Kirabo. Mais la jeune fille se construit aussi au pensionnat Sainte Thèrèse, une école d’excellence pour filles douées de bonne famille. Dans le hall principal trône le portrait de Sojourner Truth ( 1797-1883) et sa devise.

Si la première femme que Dieu a créée a été assez forte pour mettre le monde à l’envers à elle toute seule, ces femmes ensemble devraient être capables de le remettre à l’endroit.

Cette période est aussi le début d’une conscience politique. Si la première partie met en évidence les diktats sexistes du régime d’Amin Dada, nous entrons alors dans la guerre entre l’Ouganda et la Tanzanie. Les militaires mettront fin au régime d’Amin Dada. Beaucoup de pères instruits de classe moyenne seront éliminés, les anciens politiciens déchus et leurs filles contraintes de quitter l’école.

Clan et sororité

Avec cette grande histoire familiale sur trois générations, Jennifer Nansubuga Makumbi met en évidence l’importance du clan et de la sororité.
Miiro, pourtant plutôt ouvert sur le féminisme, n’en reste pas moins un chef de clan. En cas de séparation, les enfants des fils doivent rester dans le clan. Et les héritages sont toujours réservés aux garçons.
Alikisa et Nsuuta ont toujours été très proches. Au point de se lier par un pacte, celui d’épouser le même homme. Et Kirabo vit la même sonorité avec son amie Giibwa.
Chacune dans leur époque vit de belles histoires d’amour et d’amitié.
Mais les choses évoluent au fil des années. Si le village de Nattetta reste ancré dans les rites et les mythes, la nouvelle génération vivant dans les grandes villes se rapprochent des valeurs européennes.

Entre mythe et modernité

Porté par la figure charismatique de Kirabo, une jeune fille, élevée dans un clan patriarcal en quête de l’identité de sa mère, le récit traverse les périodes historiques de l’Ouganda. Jennifer Nansubuga Makumbi compose un roman dynamique et équilibré. Avec l’évocation de la situation politique et sociale du pays, de la force des mythes, de la christianisation, nous naviguons dans le quotidien d’une famille guidée par le pouvoir des clans mais ouverte sur l’évolution du féminisme. Nsuuta est la figure emblématique de l’évolution de la liberté des femmes. Et elle draîne dans son sillage des figures fortes comme Alikisa, tante Abi ou la toute jeune Kirabo.

Nsuuta, il est dangereux de regrouper tout le pouvoir féminin là en bas. Que ce soit à travers les mythes ou en entretenant le mystère, nous mettons une cible sur nos corps…

Une très belle lecture pour le mois africain.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

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