Titre : Zone base vie
Auteur : Gwenaëlle Aubry
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 272
Date de parution : 22 août 2024
L’immeuble Winckler
Entrons dans cet immeuble du 11 bis rue Winckler en ce jour du 16 mars 2020. Le PR ( Président de la République) s’adresse aux français.
Nous sommes en guerre.
Des mots que ne peut pas comprendre la jeune Livia Antunes, la fille de Virginie, gardienne de l’immeuble. Des phrases qui font peur. Et qui rappellent à Georges Swulewicz la seconde guerre mondiale. En l’été 1943 où, jeune garçon juif, il était caché dans une ferme à Garel.
Des mots adressés à Emmanuel Mulin, réfugié dans l’appartement du premier étage, celui de son père notaire. Un père qui n’a jamais cru en lui. Diplômé d’une école de commerce, il a dû quitter précipitamment la Chine.
Au deuxième étage, il y a Claire, intermittente du spectacle, enceinte, mariée à Hugo, écrivain. Sur le même palier, Manon, avocate, travaille sur le dossier d’un détenu italien. Un autre confinement.
Tout le second étage appartient à Jean-François et Delphine Lapeyrière. Couple de bobo parisien, ils partent se réfugier dans leur résidence secondaire.
Dans les chambres de bonne, vivent François, le mari séparé de la concierge et Kirsten, une étudiante. Privée d’université, elle devra se débrouiller seule pour la rédaction de son mémoire sur « le pouvoir souverain et l’état d’exception. »
Souvenir d’une pandémie
A lire ces pages, je perçois avec le recul combien cette période était stressante, voire apocalyptique. La situation semble relever de la science-fiction alors que nous l’avons vécue.
Les discours angoissants, les pénuries, les contradictions récurrentes, l’annonce quotidienne du nombre de cas, de morts, l’inhumanité de certaines situations, la complexité de l’organisation.
Des vies qui basculent, des couples qui souffrent, des enfants privés de sociabilité, des esprits qui chavirent.
C’est comme si ces virus successifs s’employaient à accroître la distance entre les corps, à creuser entre eux un vide de plus en plus étanche.
Gwenaëlle Aubry nous invite dans l’intimité des habitants de cet immeuble. On découvre leur passé et on vit avec eux leur quotidien de confiné. On résiste avec eux, on se brise aussi parfois.
Grâce à la variété de cette population, l’auteur illustre toutes les situations. Enfant, étudiant, entrepreneur, femme enceinte, couple, personne âgée. Différents métiers et différentes classes sociales. Elle montre comment la pandémie a modifié notre rapport aux autres, notre conception de la vie.
Une projection sociale et politique
Gwenaëlle Aubry s’inspire du roman de Georges Perec, La vie mode d’emploi. A travers la description d’un immeuble et de ses habitants, Georges Perec définit la vie et montre avec cocasserie comment on peut la vivre ou la subir.
Sur un chantier, la base vie représente l’ensemble des services nécessaires pour la vie en commun des ouvriers.
En observant le 11 bis rue Winckler et ses habitants, nous suivons comment vivent et survivent ceux qui sont modifiés par le confinement. Dans le microcosme de l’immeuble, les personnages abordent différemment le présent en fonction de leur passé.
Cette projection sociale se fait aussi réflexion politique par le biais de la thèse de Kirsten. Le pouvoir se donne alors le droit de décider ce qui est essentiel ou pas, de définir notre façon de vivre. La « démocratie peut forger les instruments de sa propre destruction ».
la démocratie est abîmée, comme nous tous, et si un jour l’extrême droite arrive au pouvoir, elle trouvera devant elle un boulevard…
Une fois de plus, l’écrivaine et philosophe Gwenaëlle Aubry, en observant des personnages profondément humains, livre à la fois de belles histoires et une réflexion sociale et politique.
Commentaires
Il a tout pour me plaire, je m’empresse de noter ce titre.
Une auteure que j’aime beaucoup