Titre : La nuit au coeur
Auteur : Nathacha Appanah
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 288
Date de parution : 21 août 2025
Trois femmes
Le roman de Nathacha Appanah commence par trois hommes, désignés uniquement par leurs initiales. Mise à distance immédiate, comme un refus de leur accorder trop de place. À l’inverse, les trois femmes du récit sont nommées, prénom et nom. C’est à elles qu’il faut rendre hommage, c’est leur histoire qu’il faut faire entendre.
C’est à Bordeaux, en 2021, que tout bascule. Nathacha Appanah apprend le meurtre de Chahinez Daoud, brûlée vive par son mari à Mérignac. Cette violence extrême résonne en elle comme un choc. Un déclic. Le passé qu’elle avait enfoui remonte, avec celui de sa cousine Emma.
« Je ne reliais pas ces moments d’accablement à mon passé parce que je n’étais pas prête à admettre que ce qui m’était arrivé était grave, qu’on ne pouvait pas en sortir indemne… »
Parmi ces trois femmes, Nathacha est la seule survivante. La seule à pouvoir parler, à pouvoir offrir une voix aux deux autres, et à toutes celles réduites au silence par la violence conjugale. Un témoignage rare, qui brise le tabou du féminicide.
Jusqu’à la mort
Elle sait de quoi elle parle. À dix-sept ans, alors qu’elle vient de recevoir un prix littéraire, Nathacha rencontre HC, journaliste et poète plus âgé. Il l’interviewe, la séduit, l’isole, l’enferme. Trop jeune pour déceler les signes de l’emprise, elle bascule dans une relation toxique, faite de domination et de peur.
« Le foyer violent est un monde à part et ceux qui n’y sont pas disent des phrases telles que : Pourquoi elle n’est pas partie ? Pourquoi elle n’en a parlé à personne ? Pourquoi elle n’est pas allée à la police ? Pourquoi elle s’est remise avec lui ? »
Parce qu’elle l’a vécu, Nathacha Appanah répond à ces questions avec une légitimité douloureuse. Ce roman intime devient oppressant précisément parce qu’on sait que ce n’est pas une fiction : elle l’a traversé. Et elle le revit à chaque nouveau féminicide.
Un récit qui frappe en plein cœur
L’histoire d’Emma, de Chahinez, et la sienne. Trois récits qui s’entrelacent, faits de passion, de silence, d’effacement. L’autrice nous fait ressentir la montée du piège, la chute, l’incompréhensible. Mais les mots peinent à dire l’horreur. Alors elle tourne autour, marche sur les lieux – Mérignac, l’île Maurice – s’approche du gouffre sans jamais pouvoir s’y plonger tout à fait.
On reste, souvent, au bord de l’écœurement. Devant l’impuissance des victimes, l’inaction des forces de l’ordre, la violence des hommes incapables d’accepter une séparation. Un passage, saisissant, évoque les requins. Le parallèle est glaçant. On croit lire une description d’un homme violent. Ce n’est qu’un article sur le comportement du prédateur marin. Et pourtant…
« Quand vous êtes le point central, il est souvent trop tard. Vous êtes encerclée, vous êtes prise au piège, enserrée dans ses rets, et il n’y a plus de répit. »
Avec cette introspection déchirante, Nathacha Appanah dépasse le simple témoignage. Elle signe un texte littéraire, nécessaire, politique. Un livre qui donne voix à celles qu’on a voulu faire taire. Et dans un contexte où le procès de l’affaire Jubillar occupe l’actualité, ce roman résonne avec une acuité brûlante.
Un roman courageux. Et essentiel.

Commentaires
Mais est-ce vraiment un roman ? Bon, j’ai adoré, mais je suis étonnée de sa sélection au Goncourt.
Je te rejoins, ce n’est pas un roman. Et c’est-à-dire ce qui me gêne aussi pour le Prix Landerneau pour lequel je fais partie du jury.