Titre : Et demain les Russes seront là
Auteur : Iulian Ciocan
Littérature moldave
Traducteur : Florica Courriol
Editeur : Tropismes
Nombre de pages : 212
Date de parution : 3 mars 2023

 

Un récit visionnaire

Iulian Ciocan a écrit ce roman en 2015, bien avant les échos de la guerre en Ukraine. Et pourtant, la fiction flirte avec la réalité même si les lieux sont différents.
Alors que la Moldavie est indépendante depuis trente ans, la Transnitrie, zone pro-russe se détache de la République de Moldavie en 1992.
L’auteur alterne le récit des aventures de Marcel Poudre, licencié d’une université roumaine revenu chez ses parents à Chisinãu en 1995 et les pages de son premier roman dystopique qui explore les malheurs de Nicanor Pigeonneau, professeur de latin, en pleine invasion de la Moldavie par la Transnitrie.

Un jeune auteur en mal d’insertion

Malgré de études littéraires en Roumanie, Marcel Poudre peine à trouver un travail décent en Moldavie. Et c’est pourtant essentiel pour aider ses parents au chômage. Son ami lui conseille de continuer ses études pour faire du droit.

J’ai vite compris que la littérature ne pouvait pas me nourrir, vieux.

Mais Marcel rêve de publier son roman. Enfant solitaire, Marcel s’est réfugié dans les livres. Il adorait la science-fiction. La guerre sur les rives du Nistre- Dniepr et la peur qu’elle engendrait l’ont incité à écrire son premier roman de contre-utopie. Mais la vieille garde des éditeurs et critiques littéraires ne laisse aucune chance aux jeunes auteurs. D’autant plus que son roman dystopique risque d’être jugé attentatoire à l’ État.
Le jeune homme tente divers petits métiers comme la revente de conserves de poisson. Quand il parvient à trouver un poste à l’université, il découvre les petits salaires et les magouilles pour arrondir les fins de mois.
Le jeune homme nous délecte aussi de ses aventures sentimentales qui, comme ses ambitions littéraires peinent à se concrétiser.

L’invasion de la Moldavie en 2020 vu par Marcel Poudre

Nicanor Pigeonneau, professeur de latin, vit dans un petit appartement où il joue aux échecs en ligne depuis la mort de sa femme. Il vit une aventure avec l’insatiable Raïa, veuve sexagénaire. Mais lorsque les rumeurs d’invasion, les coupures d’électricité puis les bombardements commencent, il fuit avec les autres vers la Roumanie. Malheureusement, faute d’un passeport en règle, il est refoulé à la frontière. Son appartement étant réquisitionné par des Russes, il s’installe chez Raïa. Arrêté dans la rue, il finit en prison.  Il aurait pu s’en sortir en acceptant d’enseigner le moldave, une langue en graphie cyrillique créée par Staline, mais il refuse cette horrible collaboration.
Iulian Ciocan peint une Moldavie gouvernée par « des canailles fantoches qui volaient sans scrupule », une division entre pro-russes et moldaves roumains avec beaucoup d’humour.

Il n’est pas toujours facile de jongler entre les deux narrations. La fin est un peu rapide et laisse un goût d’inachevé. Mais que nous soyons dans la réalité de 1995 ou dans le visionnaire 2020, nous retrouvons la même ironie, la même truculence à décrire les relations amoureuses. C’est un récit jubilatoire malgré la noirceur du sujet de fond. Ce n’est pas sans rappeler l’ambiance des romans de Kourkov. Mais surtout, c’est surtout le côté visionnaire de ce roman qui me fascine. La peur de l’envahisseur russe est présente depuis de nombreuses années dans les esprits des habitants de pays de l’ancienne URSS.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

Choup
20 mars 2023 à 12 h 14 min

Voilà un texte qui attire mon attention, je le note. Par contre, je me permets une petite rectification: pour nous Français la guerre en Ukraine commence en 2022, mais en fait, l’Ukraine est en guerre depuis 2014, c’est donc une réalité pour Ciocan quand il écrit ce roman. Et les Moldaves ont une conscience aiguë de ce que la guerre en Ukraine peut vite déborder dans leur pays, d’ailleurs la Russie tente de plus en plus de déstabiliser la Moldavie ces derniers mois.



    20 mars 2023 à 14 h 33 min

    Merci de cette précision. Lorsqu’il écrit ce texte en 2015, même si la peur est là, 2020, époque du roman de Marcel, reste dans le domaine du futur. La guerre du Donbass a effectivement commencé en 2014 suite à la révolution de Maïdan. Mais ce qui restait localisé sur un territoire pro-russe prend en 2022 un tournant plus large. Il y a une similitude entre les situations en Ukraine et en Moldavie avec d’une part le Donbass et d’autre part la Transnitrie. Et dans le roman de Ciocan, nous en sommes à l’entrée en Moldavie tout comme en 2022, les Russes mènent des opérations bien plus loin que le Donbass. Peur russe du rapprochement européen . Ciocan le dit en toutes lettres, sa contre-utopie est tout à fait vraisemblable pour lui. Contrairement à nous, bien trop loin ou aveugle



20 mars 2023 à 15 h 19 min

Une lecture en lien avec l’actualité.



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