Titre : Baiser ou faire des films
Auteur : Chris Kraus
Littérature allemande
Titre original : Sommerfrauen winterfrauen
Traducteur : Rose Labourie
Editeur : Belfond 
Nombre de pages : 336
Date de parution : 21 janvier 2021

 

Un défi cinématographique

Jonas Rozen est étudiant en cinéma à Berlin. Depuis un accident de moto qui a coûté la vie à son ami Michi, il vit avec une plaie béante au coeur et une cicatrice sur le crâne qui lui confèrent états d’âme et vulnérabilité. C’est d’ailleurs lors de cet accident qu’il a rencontré Mah, une infirmière d’origine vietnamienne. Son passé, son métier en soins palliatifs et son impossibilité à procréer la rendent  dépressive. Jalouse, elle accepte mal le départ de Jonas pour quatre semaines aux Etats-Unis. Mais son professeur de cinéma, Lila Von Dornbush, un réalisateur dépassé, lui a demandé de partir en éclaireur. Leur projet d’école est de réaliser aux Etats-Unis un film porno.

New York, underground des sixties

Le temps de trouver un logement pour son professeur et le groupe d’étudiants allemands, Jonas est hébergé chez Jérémiah Fulton dans un quartier mal famé. D’ailleurs, le jour de son arrivée, il se fait agresser dans le hall de l’immeuble. L’intérieur de l’appartement n’est guère plus engageant. Comment une figure réputée du cinéma des années 70, devenu une montagne de graisse peut-il vivre dans une telle misère sociale? L’homme qui se nourrit dans les soirées mondaines entraîne le jeune homme dans un milieu où l’on croise Martin Scorcese, Allen Ginsberg ou Gena Rowlands. Chris Kraus dépeint un New-York underground avec ses héros moribonds.

Femmes d’été, femmes d’hiver

Pendant ce séjour à New-York, Jonas se trouve face à plusieurs défis. Il doit trouver un logement bon marché pour son équipe, réfléchir à son sujet de film porno et rendre une visite qu’il redoute à Tante Paula. Ces trois missions nous entraînent dans un flot d’aventures où notre héros sera amené à se poser beaucoup de questions sur ses origines, son présent et son futur.
Alors qu’il rencontre Nele Zapp, une stagiaire de l’Institut Goethe, il est harcelé par les appels angoissés de Mah qui invente des drames pour attirer son attention. Nele, attirante, gaie, décomplexée, imprévisible est une femme d’été. Mah est plutôt une femme d’hiver, fiable et responsable (dit-elle mais surtout dépressive et étouffante).

Les hommes sont irrésistiblement attirés par les femmes qui sentent le chaos, le désordre et la destruction.

A ce cruel dilemme s’ajoute son projet de carrière. Trop pudique pour réaliser un vrai film porno, il prend le biais de s’intéresser au symbole de l’oreille dans le sexe. Puis son professeur lui impose le tournage d’un portrait d’un écrivain allemand vivant à New-York. Mais tout le pousse vers l’histoire de Tante Paula.

Je ne tournerai pas de film à la con sur les nazis.

L’ombre du nazisme

Sous les apparences d’un roman léger aux multiples situations comiques, les fantômes de Chris Kraus ne sont jamais bien loin. Tout comme dans La fabrique des salauds, le poids d’ancêtres criminels hante le héros du roman. Par le biais de deux compte-rendus de procès contre le grand-père de Jonas, un ancien nazi, tante Paula livre son passé de lettonne envoyée au ghetto pendant la seconde guerre mondiale. Celle qui fut ensuite la gouvernante du père de Jonas considère-t-elle le SS Sturmbannführer Rosen comme un criminel ou un sauveur?

Un roman drôle et profond

En entamant ma lecture, je pense rapidement que ce roman n’est pas pour moi. Tout commence par le récit étonnant de la fille de Jonas Rozen qui introduit ainsi la publication du journal de son père sur les évènements de la fin d’été 1996, matière intrinsèque du roman de Chris Kraus.
Pornographie, situations comiques, humour noir, pas vraiment mon univers. En fait, le sujet de la pornographie n’est qu’un prétexte pour poser des questions importantes à une jeune génération de cinéaste. L’objectif est de les amener à réaliser un film personnel avec des questionnements inédits et de belles révélations. A défaut de film, c’est bien ce qui va diriger le parcours américain de Jonas Rozen. Affronter son passé, se poser les bonnes questions pour son avenir professionnel et personnel. Baiser ou faire des films, femmes d’été ou femmes d’hiver. On ne choisit pas qui on aime et ce que l’on va devenir. Mais il faut détecter les petites choses vous protègent des ouragans.

Le personnage un peu lunaire et fantasque de Jonas Rozen est drôle et attachant, inoubliable. Mais c’est toute une galerie de personnages secondaires incroyables ( notamment Nele et Jérémiah) qui donnent aussi  la saveur à ce roman  à la fois drôle et profond.

Lu pour le mois Les feuilles allemandes, je recommande particulièrement la lecture de ce roman. Vous ne serez pas déçu!

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

29 novembre 2022 à 17 h 16 min

J’avais adoré La fabrique des salauds, mais ce titre, trop aguicheur, ne me tente pas.





Doudou Matous
30 novembre 2022 à 10 h 11 min

Je l’ai lu aussi dans le cadre des « Feuilles allemandes ». J’ai pensé comme toi (au début) que ce roman ne serait pas pour moi (cette histoire de film « érotico-porno-expérimental ») … et finalement, je me suis laissée emporter par le coté tragi-comique de ce roman d’initiation. L’intrigue est certes déroutante mais aborde de nombreux sujets passionnants : le cinéma, la Beat Generation, l’holocauste, etc



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