Titre : L’affaire Pavel Stein
Auteur : Gérald Tenenbaum
Éditeur : Cohen & Cohen
Nombre de pages : 162
Date de parution : 26 août 2021
Un film atypique sur l’absence
Dans ce roman, Gérald Tenenbaum se met dans la peau d’une femme. Paula Goldman, journaliste web pour la rubrique cinéma et théâtre, spécialisée sur les questions identitaires, entame le récit de son histoire vingt ans après sa rencontre avec Pavel Stein. Une rencontre improbable qui a bouleversé sa vie.
A l’aube du passage à l’an 2000, lourd de présages funestes, Paula assiste à la projection privée du dernier film de Pavel Stein, Les Cent Vingt jours de Sodome, « Une allégorie biblique, sans référence, d’après lui, au regretté Pasolini, et dévolue, comme je l’appris plus tard de sa bouche même, à la perte des valeurs et à ses liens avec la banalité du mal. »
Agacée par la suffisance du cinéaste, réputé pour ses films sur la mémoire, le vide et l’absence, elle se fait remarquer en posant une question dérangeante.
Si vous donnez un visage à l’absence, monsieur Stein, ne prenez-vous pas le risque d’en manquer?
Manquer d’absence? Paula s’enfuit et se réfugie chez sa tante, rescapée d’Auschwitz. Oubliant les mots, la mémoire de la vieille dame se traduit dans les couleurs de ses toiles. La mémoire de Stein, elle, est une abstraction.
Une rencontre inattendue
Curieuse, la journaliste accepte toutefois d’interviewer le cinéaste à son domicile. Si elle est venue pour l’oeuvre, l’homme finit par l’intriguer.
La mémoire, pour moi, c’est comme un tremblement, voyez-vous, un aller-retour entre ce qu’on a vécu et ce qu’on vit, voire entre ce qu’on aurait pu et ce qu’on pourrait encore vivre.
Plus tard, Pavel Stein lui demande de le rejoindre dans un monastère au Tibet. De ces quelques jours de passion, Pavel, le maître de l’absence lui apprend la beauté magnétique du présent.
Le destin d’un homme lié aux diasporas
A son retour, Paula n’a plus de nouvelles de Stein. Si ce n’est les échos de l’invasion du Tibet. Un ami lui donnera plus tard les lettres que Pavel lui avait adressées sans les envoyer. Les masques d’arrogance et de réserve sont tombés des deux côtés. Stein est admiratif devant le courage des lamas en révolte. Ils portent les valeurs d’autres peuples en diaspora.
négliger le présent pour ensemencer l’avenir, abandonner le réel pour préserver l’idéal, assumer jusqu’à l’anéantissement une conception du monde.
L’histoire d’amour éphémère et intense entre Paula et Pavel est à l’image de cette conception.
Mathématicien, Gerald Tenenbaum n’oublie jamais d’allier à sa belle narration la puissance des chiffres. La Kabbale n’est jamais loin. Ce roman est moins accessible que le précédent, Reflets des jours mauves. Il peut nécessiter des relectures pour en saisir toute la richesse.
Commentaires
Le titre de cet article sur le livre de Gérald Tenenbaum porte bien son nom puisque le style de cet auteur possède de belles qualités cinématographiques : langage imagé, poétique, descriptions dignes d’un storybord, lenteur qui nous donnent à voir nos propres images tout en finesse. J’aurais presqu’envie de voir une adaptation sur la toile de cette Affaire Pavel Stein. Et puis il y a LE film du livre, celui qui permet la rencontre des deux personnages, la rencontre et l’histoire d’amour. Deux personnages dont l’intimité nous est révélée avec subtilité et profondeur : l’intimité féminine, l’intimité masculine et celle de leur couple, du « nous » (concept offert par Pavel Stein qui m’a personnellement touchée). Ils ne sont pas seuls, on prend conscience dans ce roman, du lien qui les unit à leur famille, aux amis, au Monde et à l’Histoire. Même si ce lien se niche au creux d’une absence…vivante.
Et l’on prend avec… c’est à dire que l’on « comprend » la tension narrative de cette histoire… on l’apprivoise. Avec ou sans relecture. Chacun fait son chemin en cheminant, pour paraphraser Antonio Machado. Personnellement je ne boude pas la relecture… rien que pour le plaisir de la marche
Merci pour cet avis passionné. C’est un roman original qui, malheureusement n’est aucunement médiatisé en cette rentrée littéraire. Et c’est bien dommage!