Titre : La huitième reine
Auteur : Bina Shah
Lettres indiennes
Titre original : A season for Martyrs
Traducteur : Christine Le Bœuf
Éditeur : Actes Sud
Nombre de pages : 368
Date de parution : 3 février 2016
« Le Sindh, lui, est une terre d’intrigue et de suspicion, où nous avons dû recourir à un mélange d’influence et de force pour maintenir la Loi et l’Ordre, délicat équilibre qui demande à la fois un poing d’acier et un cœur ferme. »
Le Sindh, une des quatre régions du Pakistan, est le personnage principal de ce roman de Bina Shah. Avec ses légendes, le désert du Thar, sa vallée baignée par l’Indus, cette région qui a pour capitale Karachi a intégré le Pakistan après la partition de 1947. C’est une région qui est le berceau de la civilisation pakistanaise et la terre qui a vu naître la famille Bhutto.
La force de ce roman est d’alterner une fiction actuelle, reflet du Pakistan d’aujourd’hui et un éclairage par l’histoire de la région depuis 984 après J.C., l’ensemble se rejoignant en 2007, date à laquelle Benazir Bhutto reprend sa campagne électorale après huit ans d’exil.
Ali Sikandar, musulman de vingt-cinq ans, est documentaliste pour la chaîne City 24 News. Après une année d’université à Dubaï, il fut contraint de suspendre ses études pour prendre en charge sa famille après le départ de son père vers une nouvelle vie.
Mais son rêve reste d’obtenir un diplôme universitaire américain comme son collègue Jehangir.
Ali est un garçon très discret, conscient des choses qu’il faut taire, parfois même aux êtres les plus proches. Aux yeux de tous, son père est mort. Cela vaut mieux que d’avouer qu’il est un zamindar ( féodal, propriétaire terrien détesté par les Pakistanais), qu’il a quitté sa famille pour aller vivre avec une seconde épouse et qu’il est partisan du PPP, le parti du peuple pakistanais crée par Bhutto.
Ali doit aussi cacher sa relation avec Sunita, une jeune hindoue car leur mariage est impossible en raison de leur confession différente et son intention de poursuivre ses études aux États-Unis.
En octobre 2007, Ameena, la productrice de City24 News envoie Ali couvrir le retour de Benazir Bhutto au Pakistan. Un attentat coûtera la vie d’Haroon, le cameraman. Ali, qui » n’avait pas confiance en Benazir parce que son père l’avait tant aimée » prend conscience du charisme et du courage de cette femme. Cet attentat suicide marque le début de la prise de conscience politique d’Ali.Et il retrouvera cette grande dame en décembre 2007 à Rawalpindi lors du meeting qui lui fut fatal. Mais l’auteur, avec beaucoup de délicatesse, n’en dit rien afin de rester sur une vision puissante et pleine d’espoir de Benazir Bhutto.
Ce roman est d’une grande richesse pour celui qui veut découvrir et comprendre un pays comme le Pakistan. Grâce aux chapitres consacrés au passé, le lecteur comprend tout l’ancrage de cette région. L’importance des Pirs zamindars, descendants des saints soufis, dotés de nombreux privilèges par les Britanniques, les débuts politiques de Zulfikar Ali Bhutto, l’histoire des sept reines qui amène le titre de ce roman et couronne le charisme de Benazir Bhutto.
» Pour eux, elle était un mélange de plusieurs choses: sœur, fille, héroïne, reine. Elle était comme les sept Reines de Shah Abdul Latif Bhittai, ce poète soufi qui avait décrit avec tant d’émotion les femmes du Sindh qui avaient combattu les oppresseurs, conduit des guerres, perdu la vie pour leurs amants.«
C’est avec les douleurs et les ambitions d’Ali que nous comprenons ce pays tel qu’il est en 2007, fort de ce regard sur ce passé et porteur d’un espoir ancré en cette première femme pakistanaise prompte à se battre contre les abus d’un pouvoir qui tente encore de truquer les élections. Il faut toutefois noter que l’auteur sait aussi citer les reproches que le pays a pu faire aux Bhutto ( partage des terres par Ali Bhutto au grand dam des féodaux, corruption présumée et riche train de vie de Benazir Bhutto).
» elle se tenait droite et fière, la tête haute, toisant de son long nez les hommes qui se bousculaient pour la saluer, une main posée sur le cœur en signe de respect.«
La huitième reine est un roman passionnant, riche d’un éclairage historique teinté de la force des légendes et actualisé par la grandeur de personnages réels et fictifs nous donnant à voir le quotidien d’une région du Pakistan actuel.
Un coup de cœur que je conseille à tous ceux qui veulent en savoir davantage sur cette région du Sindh.
Retrouvez Bina Shah sur son blog ou son site Internet.
Commentaires
Je suis en train de le lire. Effectivement je suis très intéressée par ce que j’ai lu. Le glossaire permet d’accéder facilement à la lecture. L’auteur réactualise un événement marquant du Pakistan. Un livre magnifiquement écrit dans un style très châtié et poétique. C’est tout un passé mythique qui est mis en valeur ainsi que la vallée de l’Indus. Bravo Jostein. Ma chronique ne paraîtra que dans 1 semaine. Je te tiendrai au courant.
Il ne peut que te plaire celui-ci
Merci pour ce billet : je rajoute bien sûr l’auteur à la liste « Lire le monde » puisque ce roman est tout à fait dans la lignée recherchée : des romans qui permettent de mieux comprendre le monde tout en restant de la littérature.
C’est le genre de livre que j’aime aussi en littérature étrangère.
Très intéressant. Je note ce titre.
ah oui, ça m’intéresse, ton enthousiasme est contagieux!
Tant mieux
Me voilà tenter !
Contente car on en parle peu de ce roman.
J’avais très envie de le lire du coup ton billet me convainc à fond. Je vais le mettre dans ma liste…. déjà longue mais je crois que ça vaut le coup !