Titre : Ton absence n’est que ténèbres
Auteur : Jon Kalman Stefansson 
Littérature islandaise
Titre original : Fjarveva pin er myrkur
Traducteur : Eric Boury
Editeur : Grasset
Nombre de pages : 608
Date de parution : 5 janvier 2022

Une symphonie de destins

Le narrateur, un écrivain amnésique, est notre guide pour découvrir le destin sur un siècle de familles islandaises ayant vécues dans ce fjord de l’Ouest de l’Islande. Aiguillonné par un étrange pasteur, chauffeur de bus, ange ou diable qui le trimballe entre les mondes et les époques, il rencontre les filles, fils et petit-fils de ceux qui ont vécu sur cette terre.
Tout commence dans le cimetière de Nes où repose Aldis, sous l’épitaphe «  Ton absence n’est que ténèbres. »
Des dizaines d’années plus tôt, guidée par la boussole du coeur, cette jeune femme de Reykjavik a succombé aux beaux yeux bleus du paysan Haraldur.
Oser tout quitter sur un seul regard. C’est peut-être ce que voulait faire, une génération plus tôt, Gudridur, paysanne inculte. Suite à la rédaction d’un article sur le lombric, ce poète aveugle de la glèbe, elle se fait repérer par le pasteur de Snaefellnes. On connaît l’effet papillon mais on pourrait ici le nommer effet lombric.

un trop grand amour est-il susceptible de saccager notre existence si vous ne pouvez le vivre pleinement.

Et que deviennent les enfants de ces amours interdits? Tel Eirikur, solitaire dans la ferme d’Oddi, avec ses chiens et sa guitare, potentiellement condamnable pour avoir tiré sur un autobus.

La boussole du coeur

Un destin implacable guide les personnages. L’amour en trace les trajectoires. Qu’il s’agisse de venir ou de rester auprès de ce « fjord classé au top dix des meilleurs endroits », même sans magasins, cafés, théâtres ou cinémas ou d’en partir pour tenter d’oublier un cruel souvenir ou rejoindre le cimetière de Nes.
Ces moments d’amour, de perte sont particulièrement intenses et chargés d’émotion. Mais cela ne résume pas le livre à un roman sentimental. L’auteur y installe aussi de la poésie et de la réflexion. Entre Pall, fervent admirateur de Kierkegaard, Petur qui écrit des lettres à feu Hölderlin ou Asi qui disserte sur le désir sexuel, chacun se pose des questions sur le paradoxe dans lequel ils vivent.

Mais il est souvent compliqué de vivre car, parfois, vous vous trouvez devant une alternative et les deux options sont mauvaises, dans ce cas, que fait-on?

Est-ce courage ou lâcheté que d’aimer, a répondu Hölderlin, est-ce faiblesse ou force que d’étouffer l’amour, est-ce égoïsme ou pureté que d’être aux ordres de son coeur?

Un récit en forme de puzzle

L’auteur aime ces constructions qui avancent lentement avec des allers et retours dans le temps. Au cimetière de Nes, le narrateur rencontre Runa, une des filles d’Aldis. Ce qui nous met sur le chemin des fermes de Nes et d’Oddi et de leurs habitants sur plusieurs générations. Mais les liens familiaux ne se tissent qu’au fil des pages à la manière d’un puzzle. Chacun se construit avec sa mémoire, sa généalogie.

Vos gènes charrient vos émotions, souvenirs, expériences et traumatismes d’une vie à une autre.

L’écrivain amnésique construit pas à pas.

Celui qui sait tout ne peut pas écrire. Celui qui sait tout perd la facilité de vivre, parce que c’est le doute qui pousse l’être humain à aller de l’avant.

L’Islande, ce pays âpre et beau

Depuis que j’ai reçu ta première lettre, j’ai tellement pensé, puis tellement parlé de notre fjord qu’il a envahi mes nuits. Ce matin, je me suis réveillé au milieu d’un rêve dans lequel j’avais l’impression qu’il était assis à ma table comme un être en chair et en os, il y avait sa quiétude, ses montagnes anciennes et d’altitude modeste, l’odeur de la mer, les cris des sternes arctiques, le chant estival de la bécassine des marais, les bêlements des moutons sur les pentes, le meuglement des vaches de Skard…

On comprend l’attachement des habitants à cette terre. Même si ils ne font pas fortune en élevant des moutons, ils chérissent leur indépendance. Ils sont profondément attachés à leurs racines.

Celui ou celle qui se coupe de ses racines, qui les perd et fuit son passé, n’a plus nulle part où aller.

Une bande son remarquable 

C’est peut-être, avais-je suggéré, le diable qui a créé l’homme et quand Dieu a vu qu’il était trop tard pour l’effacer, il nous a donné la mauvaise conscience et la musique.

Eirikur est musicien. Cette passion le rapproche de son père, un homme meurtri qui n’a jamais su lui parler, sauf, peut-être, en musique. Beaucoup de chansons accompagnent le récit et elles sont toutes sur une liste Spotify baptisée La camarde. On en parle fréquemment au cours du récit.

J’ai lu plusieurs romans de Jon Kalman Stefansson. Tous sont très bons mais celui-ci a un charme supplémentaire. Un grand coup de coeur.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

Ariane S
11 février 2022 à 12 h 15 min

Il est dans ma PAL .Tout comme vous ,j’aime énormément cet écrivain .Je viens de lire « Lumière d’été ,puis vient la nuit  » .



11 février 2022 à 14 h 59 min

je l’ai beaucoup aimé!!!
plus je découvre cet auteur et plus je l’apprécie, celui-ci est vraiment très abouti





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