Auteur : Han Kang
Littérature coréenne
Titre original :
Traducteur : Kyungran Choi et Pierre Bisiou
Editeur : Grasset
Nombre de pages : 336
Date de parution : 23 août 2023
Un rêve prémonitoire
Depuis la parution de son roman sur les massacres perpétrés à Seoul, Gyenghan fait sans cesse le même rêve. Elle marche dans un champ qui ressemble à un cimetière. Elle voit une rangée d’arbres noirs sans cimes ni branches. La neige tombe. Elle sent alors l’eau lui envahir les pieds. La mer monte de plus en plus vite.
Seule, en proie à de terribles migraines et maux d’estomac, Gyeongha souhaite mourir. Elle rédige son testament sans savoir à qui l’adresser.
C’est dans cet état ultime qu’elle reçoit un message de son amie Inseon. Leur collaboration date de l’université. Vingt ans plus tôt, Inseon fut la photographe qui l’accompagnait lors de ses reportages pour un magazine.
Hospitalisée suit à un accident avec sa tronçonneuse, Inseon demande à son amie de partir sur le champ chez elle sur l’île de Jeju afin de nourrir son perroquet.
Gyeongha prend le dernier avion et arrive sur l’île en pleine tempête de neige.
Une tempête symbolique
De l’aéroport à la maison d’Inseon, Gyeongha se perd dans la neige et la forêt. La neige semble irréelle, belle et lente. Victime d’une chute, frigorifiée, la jeune femme se perd entre rêve et réalité. Quand elle arrive enfin dans l’atelier d’Inseon, elle découvre que la photographe travaillait sur leur projet de mettre en scène son cauchemar.
Une maison sans voisins ni éclairage public. Une maison qui se retrouve isolée dès les premières neiges, sans eau ni électricité. Une maison où toute la nuit un arbre avance en agitant ses longs bras. Une maison avec d’un côté une rivière à sec, tandis que de l’autre côté se trouve un village brûlé de suppliciés.
Entre souvenirs d’une ancienne visite à son amie qui vivait alors avec sa mère et découverte des travaux de la photographe intitulés Impossibles adieux, Gyeongha se retrouve face à l’histoire dramatique de la famille d’Inseon et plus généralement des habitants de l’île de Jeju.
Au milieu de la tempête, des cauchemars et des revenants s’amorce une longue conversation virtuelle entre les deux amies. L’intime se mêle alors à la grande Histoire. De novembre 1948 au début de l’année 1949, le gouvernement coréen, dans une chasse aux « rouges » massacre trente mille civils de l’île de Jeju. Deux cent milles personnes seront massacrées l’été suivant sur le continent sur ordre du gouvernement militaire américain afin d’enrayer le communisme.
Devoir de mémoire
Impossibles adieux est un roman de transmission. La mère d’Inseon se souvient de la découverte des corps de sa famille. Avec sa soeur, elles gardent en mémoire la neige sur le visage des morts. La neige est omniprésente dans ce récit. Alors que sa mère a oeuvré toute sa vie pour réunir des documents et retrouver les ossements des victimes, Inseon a le devoir de continuer à informer sur ces massacres, à combler les vides de l’Histoire.
Je comprenais ce que ma mère avait traversé. Quand je me réveillais d’un cauchemar, je me passais le visage sous l’eau, je me regardais dans le miroir et je voyais ce quelque chose qui était gravé sur son visage à elle.
Han Kang signe un roman glaçant mais essentiel. Entre fantastique et réalité implacable, elle nous plonge dans l’atrocité de l’Histoire coréenne. Poétesse, l’auteure nous embarque dans le fantastique et la douceur glaçante de la neige pour en faire émerger la mémoire traumatique d’un pays qui n’a pu affronter ce passé qu’au début des années 2000.
Commentaires
Il me tente ce livre car il semble rendre justice à des victimes largement oubliées des récits habituels. Et le fait que ce soir une femme, poétesse qui s’empare du sujet est admirable.
Un livre très intéressant sur le fond et la forme