Titre : Le mage du Kremlin
Auteur : Giuliano da Empoli
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 288
Date de parution : 14 avril 2022

 

Le récit de Vadim Baranov

Le narrateur du livre, grand amateur de la littérature d’Evgueni Zamiatine ( 1884-1937),  se rend à Moscou pour un  projet de réédition de sa dystopie, Nous. Il s’intéresse aussi au profil de Nicolas Brandeis, un auteur d’essais citant parfois Zamiatine. Le narrateur a l’opportunité de rencontrer Brandeis. Ce nom de plume cache en fait Vadim Baranov,  celui qu’on appelait « le mage du Kremlin ».
Baranov, producteur d’émissions de télé-réalité fut approché par Boris Berezovsky afin de l’aider à trouver un nouvel homme pour les prochaines élections.

La Russie a besoin d’un homme, Volodia. Un vrai chef qui la guide dans le nouveau millénaire.

C’est ainsi que Vadim Baranov se retrouve face à Vladimir Poutine, chef du FSB ( ex KGB). Il se souvient d’un homme insignifiant qui pourtant dégage une impression glaciale de puissance. Visiblement cet homme n’est pas du tout enclin à devenir la marionnette de Berezovsky. D’ailleurs Poutine l’éclipse au profit de Baronov qui devient son plus proche conseiller.

La confiance d’un prince n’est pas un privilège, mais une condamnation : celui qui révèle son secret à quelqu’un en devient l’esclave, et les princes ne supportent pas l’esclavage.

Vadim Baranov, aujourd’hui loin du pouvoir, confie au narrateur le récit des quinze années passées auprès de Vladimir Poutine, celui qui allait devenir l’homme que nous connaissons aujourd’hui.

Le jeu du pouvoir

Au fil de sa confession, Baranov évoque tous les éléments qui constituent le caractère de Vladimir Poutine. Son admiration pour Staline, le dégoût pour ce qu’est devenue la Russie après la chute du mur de Berlin, le sentiment d’humiliation lorsque Clinton prend un fou rire devant Eltsine, la peur d’une prise en main des occidentaux sur la politique des pays de l’ex-URSS.

Tous ces sentiments guident ses actions. Rétablir la verticalité du pouvoir, reprendre le contrôle sur les richesses de son pays, renforcer l’armée, séduire la jeunesse pour mieux la contrôler, éliminer tous ceux qui s’opposent à son destin.

Tout ceci se traduit au travers des évènements racontés comme les interventions de Poutine à l’international, l’affaire du sous-marin russe, la supériorité infligée à Merkel en présence d’un chien, le faste des jeux olympiques de Sotchi, la Tchétchénie, l’Ukraine, le recrutement d’une armée de loups avec Zaldostanov ou Prigojine.
Le récit est clair, détaillé, documenté et enrichi de réflexions qui nous plongent dans la réalité de la situation géopolitique actuelle.

Le président ( Clinton) qui avait géré d’une main de fer le démantèlement de l’empire soviétique, reprenant la moitié de l’Europe sans jamais rien concéder, agrandissant l’OTAN presque jusqu’à nos frontières et laissant les vautours démembrer, morceau par morceau, ce qui restait de notre système productif.

Conflit de mentalités

Au-delà du récit documentaire, j’ai apprécié l’intention de l’auteur à nous faire comprendre la différence de mentalité entre occidentaux et russes.

Vous pensez que Staline est populaire malgré les massacres. Eh bien, vous vous trompez, il est populaire à cause des massacres.

En Russie, le privilège, la proximité du pouvoir a plus d’importance que l’argent. Chacun l’envie et en connaît les risques.

La politique a un seul but : répondre aux terreurs de l’homme. C’est pourquoi au moment où l’État n’est plus capable de protéger les citoyens de la peur, le fondement même de son existence est remis en discussion.

Cette différence de mentalités explique l’aveuglement des occidentaux face à l’ascension des pouvoirs autocrates.

Un roman époustouflant

Giuliano da Empoli prend le parti de mêler le récit documentaire et la fiction. Son personnage principal, Vadim Baranov est fictif mais largement inspiré du personnage réel de Vladislav Sourkov, jamais nommé dans ce livre. On y trouve pourtant, en plus de Vladimir Poutine, des personnages bien réels comme Limonov, Gasparov, Berezovsky,  Zaldostanov ou Prigojine…
L’intrigue foisonnante enrichie de l’analyse pertinente d’un conseiller politique s’agrémente aussi de l’histoire personnelle de Baranov. L’histoire personnelle de celui qui apprit la littérature avec son grand-père retiré du monde des puissants. Et pourtant, le destin l’envoie sur les traces de son père, au plus près du pouvoir. Là, il exercera son métier avec professionnalisme, sans tout à fait mesurer la portée de ses actes.

La guerre en Ukraine était comme tout le reste. Ce n’était pas moi qui l’avait voulue. D’ailleurs, j’avais manifesté avec force mon opposition. Mais ensuite, quand le Tsar l’avait décidée, j’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la voir réussir…

C’est peut-être la raison qui fait que Vadim Baranov a pu démissionner sans être inquiété contrairement à certains oligarques ou politiques opposants.
Mais son récit est glaçant tant on y perçoit le caractère froid et déterminé du Tsar et le risque que prennent tous ceux qui entrent dans sa sphère. Il est un loup solitaire, un acteur incroyable qui se met seul en scène.
Et les dernières pages du roman, imaginant l’ambition et le rêve de Poutine, sont encore plus glaçantes.

Je remercie Aline de m’avoir accompagnée pour cette lecture commune.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires



4 mars 2024 à 14 h 23 min

Je te rejoins : un roman époustouflant.



31 mars 2024 à 18 h 01 min

Une pure merveille avec pourtant un sujet austère sur l’exercice du pouvoir.
Où l’on voit ce que l’on peut arriver à faire avec un style magistral !



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