Titre : Milkman

Auteur : Anna Burns

Littérature irlandaise

Titre original : Milkman

Traducteur : Jakuta Alikavazovic

Editeur : Joëlle Losfeld

Nombre de pages : 352

Date de parution : 11 février 2021

 

 

Lauréat du Booker Prize 2018, Milkman se démarque par son style, son univers lexical. Une singularité qui pourrait bien perdre son lecteur si elle na cachait une évocation parfaitement maîtrisée des situations de harcèlement et de peur.

Nous sommes dans les années 70, dans une ville qui n’est pas nommée soumise à des troubles liés à deux factions de religion différente. Bien sûr, nous comprenons facilement que nous sommes au coeur de la guerre civile irlandaise. Mais le vocabulaire restera imagé avec le pays « de l’autre côté de l’eau » ou le camp « de l’autre côté de la route ». L’auteur entretient le mystère, la dissimulation, le silence. Effectivement, dans ce climat de terreur, aucun habitant ne peut dire franchement les mots. Mais, peut-être, est-ce aussi pour laisser une place à l’histoire individuelle de la narratrice, une histoire de harcèlement qui peut se passer n’importe où.

La narratrice a dix-huit ans, elle ne sera jamais nommée que « soeur du milieu ». Elle vit avec sa mère et les trois dernières filles, les « ch’tites soeurs ». Deuxième et quatrième frère ont disparu suite au conflit, l’un a été abattu, l’autre est en cavale. Les gens n’ont pas de prénom. D’ailleurs beaucoup sont interdits. Alors, elle fait du footing avec « troisième-beau-frère », a une relation avec « peut-être-petit-ami ». Vous l’avez compris, le décor est plus ou moins poétique et étrange. Mais cela ne s’arrête pas aux dénominations. Les comportements, les lieux sont eux aussi singuliers.

A cause des Troubles, personne ne voit plus ni ne se comporte plus normalement. Pour les habitants, le ciel est bleu. Impossible d’en saisir d’autres nuances.

Même enfant je savais – peut-être parce que j’étais enfant, justement – que ce n’était pas vraiment un phénomène physique; je savais que cette impression lugubre, voilée, cette déformation de la lumière avait à voir avec les problèmes politiques, avec les douleurs, les troubles accrus, l’espoir perdu, le manque de confiance, et une nouvelle incapacité mentale que personne ne semblait vouloir ni pouvoir surmonter.

Chaque geste est mesuré par crainte des ragots, d’être photographié, fiché. Ne vous promenez pas dans « la zone des dix minutes », il ne reste que ruines et engins explosifs. L’époque était paranoïaque.

La rumeur, on commence, on continue, on s’y embourbe, on n’arrive plus à s’en sortir, voilà, en gros, pourquoi on ne m’arrêtait plus.

C’est dans cette ambiance que la vie de la narratrice, harcelée par le Laitier, un renonçant haut placé et marié, va basculer. Elle qui lisait-en-marchant, essentiellement de la littérature du XIXe siècle, une manière de refuser de voir et de savoir, qui vivait son histoire d’amour avec peut-être-petit-ami, sans vouloir trop s’engager pour trois raisons bien identifiées, travaillait, prenait des cours de français va devenir la proie d’un prédateur et la victime de tous.

L’auteur excelle à montrer comment s’installe la peur, comment elle bouscule le corps. Colère, cauchemars, refus de voir les gens qu’elle aime pour ne pas les impliquer. Son monde s’évanouit. Par tous, elle est vue comme une « dépassant-les-bornes. »

De manière étrange, avec un roman d’initiation dans lequel se pose le choix du bon partenaire de vie, Anna Burns illustre l’ambiance d’une ville en pleine guerre civile, traumatisée par les rumeurs et les peurs d’un conflit où chacun est l’ennemi de l’autre.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

19 mai 2021 à 14 h 35 min

Il vient d’arriver chez moi, ce bouquin. (Alors que j’avais JURÉ de ne plus acheter dans les ed Joëlle Losfeld!!)





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