Titre : Arbre de l’oubli 

Auteur : Nancy Huston
Éditeur : Actes Sud
Nombre de pages : 320
Date de parution : mars 2021

 

Rituel de l’oubli

A Ouidah, avant d’embarquer sur les navires négriers, les futurs esclaves venaient faire le tour d’un arbre pour y laisser leur passé. Aujourd’hui, Shayna ressent cette rupture au sein de sa propre vie. A Ouagadougou, en mission de reforestation au Mali avec Hervé,  elle rencontre l’Afrique et crie sa colère sur son journal. Des textes rageurs écrits en majuscules ponctuent le récit de ses racines. Au-delà de l’histoire de Joël et Lili Rose, Shayna cherche sa véritable mère.

 

Une rupture de lien

Fille de Joël Rabinstein, juif new-yorkais et de Lili Rose Darrington, protestante du New Hampshire, elle sait par sa couleur de peau que son histoire vient d’ailleurs. Pourtant, ses parents ne lui ont jamais caché qu’elle était le fruit d’une procréation pour autrui. Sans pour autant lui laisser le droit de rencontrer sa mère biologique, Selma Parker, une afro-américaine de Baltimore. Dès l’adolescence, elle ressent sa différence dans le regard des autres, dans le gouffre qui la sépare de Lili Rose. Tant dans le corps que dans l’esprit.

Joël et Lili Rose

Il faut remonter à l’enfance de Joël et de Lili Rose pour comprendre les failles de Shayna.
Joël Rabenstein est né dans le Bronx en 1940 de Pavel et Jenka, juifs venus de Tchécoslovaquie. Jenka ne se remettra jamais de l’extinction de sa famille dans les camps de Pologne. Les deux fils seront élevés dans le respect de la religion. En mère juive, Jenka chérit ses fils, surtout l’aîné, les poussant au mariage et à la procréation. Il faut compenser les pertes de tous ces enfants morts pendant la guerre. Mais Jeremy l’aîné est gay et Joël renonce à la religion, devient végétarien et ne vit que pour ses études.
Lili Rose naît dans les années 50 au New Hampshire d’un père méthodiste et d’une mère d’origine irlandaise. Fille unique habitant une maison isolée, elle souffre d’une enfance solitaire. D’un milieu aisé, elle découvre pourtant les bas-fonds de Boston avec sa cousine et plus tard se dévergonde avec Pétula, une amie de l’école catholique.

Une vie chaotique

Pendant que Lili Rose se gave d’hommes et de savoirs, Joël se marie avec Natalie, une juive russe obnubilée par sa difficile carrière d’actrice. Finalement, ils ne se rencontreront qu’en 1985. Lui, divorcé est un éminent professeur d’ethnologie à Columbia, elle, est enseignante au CCNY et fait une thèse sur le suicide des artistes féminines.

Et, même si le déclencheur du test fatal était souvent une dispute avec leur amant, la clef de leur auto-assassinat semblait se trouver dans l’enfance.

Petit à petit, Lili Rose sent que les graines de son autodestruction ont germé dans son enfance.

Shayna

Lors d’un voyage avec son père à La Havane, Shayna découvre la pauvreté et la condition des jeunes filles noires. Elle-même, jeune et « marron », au bras de son père, vieux et « beige » suscite les regards et les quolibets.

Mais petit à petit, en te mettant à leur place, tu commences à voir ce qu’ils voient : toi, ado basanée et bien en chair, sapée d’une minijupe verte serrée, d’un débardeur blanc sans manches et de sandales blanches à talons plats avec un motif en paillettes roses; Joël, homme beige de soixante-cinq ans, vêtu d’un élégant jeans noir, d’une chemise blanche Lacoste à col ouvert et à manches courtes et de coûteuses baskets noires.

Cette prise de conscience sera renforcée avec la rencontre de Felisa, une jeune fille d’origine haïtienne qui deviendra sa meilleure amie. Cette partie d’histoire qu’elle sent en elle, elle a besoin de la reconnaître. Et de rencontrer sa vraie mère, Selma Parker.

Une fiction ancrée dans l’actualité

De la colère d’une jeune femme en rupture avec ses racines, Nancy Huston construit une fresque familiale ancrée dans l’histoire du monde. On retrouve dans ce beau roman, ses thèmes de prédilection, notamment le racisme et le féminisme. Mais, elle brasse bien plus largement les couleurs de notre temps en effleurant l’homosexualité, l’inceste et la procréation pour autrui. Avec toujours ce regard critique sur l’histoire des États-Unis de la fin de la seconde guerre mondiale à nos jours en passant par les guerres, le 11 septembre, la crise des subprimes . Un pays qui a construit sa richesse sur l’esclavage, oubliant parfois que cette main d’œuvre arrachée à l’Afrique est venue avec ses croyances et sa couleur de peau.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

17 août 2021 à 11 h 43 min

Je crois que c’est le 1er avis que je lis sur ce dernier titre de Nancy Huston, que j’aime beaucoup, mais dont certains des romans les plus récents ne m’ont pas totalement convaincue. Visiblement celui-là est un bon cru, je le retiens donc.



17 août 2021 à 11 h 49 min

Zut, je crois que j’ai quitté la page trop vite, et que mon commentaire ne s’est pas validé.. je disais juste que du coup je retiens ce titre, car j’aime beaucoup Nancy Huston, mais ses derniers romans ne m’ont as tous complètement convaincue.
Du coup, ce billet positif me ravit !



17 août 2021 à 14 h 21 min

Le résume et ce que tu en dis me tente. Et puis j’aime bien l’auteure.



17 août 2021 à 18 h 46 min

Oui, je n’ai pas oublié notre LC, qui reste à ce jour ma dernière lecture de Nancy Huston ! Je suis impatiente de retrouver dans cet « Arbre de l’oubli » son talent de conteuse et sa capacité d’analyse..



18 août 2021 à 8 h 52 min

Je suis restée complètement en dehors… le roman m’a semblé brouillon, excessif dans ses comparaisons et parallèles, voire de mauvais goût. Quant au contexte, pour moi, l’auteure s’est sentie obligée de rédiger quelques lignes ici et là pour rappeler ce qui se passe en toile de fond, sans jamais le lier à ses héros. Bref, grosse déception.



    18 août 2021 à 9 h 10 min

    Je me souvenais avoir lu une critique négative. Le contexte est succinct mais pour moi le lien existe avec les personnages ( la seconde guerre et le 11 septembre en lien avec Jenka, un fils mort à la guerre, suicide du père de Lili Rose suite à la crise des subprimes et bien sûr le passé esclavagiste). Fourre-tout sans aucun doute mais en balayant le passé de trois familles, surtout aussi caractéristiques, il est aisé d’y trouver des blessures qui rejaillissent sur la vie de Shayna. Je comprends ta déception. Ce n’est peut-être pas le meilleur roman de l’auteur parce qu’il flirte trop avec le romanesque selon moi mais il ne pas m’a pas déçue.



19 août 2021 à 8 h 14 min

J’ai beaucoup aimé. J’avais été déçue par Lèvres de pierre, mais là j’ai retrouvé Nancy Huston comme je l’aime…



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