Titre : Poussières noires
Auteur : Catherine Gucher
Editeur : Le mot et le reste
Nombre de pages : 264
 Date de parution : 17 février 2022

 

Retour dans l’Ouest américain

J’avais découvert Catherine Gucher avec son premier roman, Transcolorado. Roman largement récompensé et primé lors du Festival du premier roman de Chambéry en 2018. Dan, orpheline sauvage et volontaire, nous emmenait sur les routes du Colorado aux ciels changeants. Après un second roman autour de la révolution cubaine, l’auteure nous replonge dans l’ouest américain au coeur d’une tribu navajo.

Une grande héroïne

Hokee fait partie du clan de L’Homme qui marche, une tribu navajo de la réserve de Black Mesa. Cependant, elle vit à l’écart dans un abri rocheux  comme tout enfant issu du viol de femmes indiennes par les Blancs du Bureau des Affaires Indiennes. Au cou, elle garde une pochette contenant le bouton doré de la veste du général qui a violé sa mère. Elle sait qu’un jour sonnera l’heure de la vengeance.
Dans les montagnes, les Blancs fouillent la terre sacrée pour en extirper le charbon, polluant la terre et la rivière.

Semences perdues.
Le maïs ne poussait plus et l’herbe rachitique, irisée d’essence, empoisonnait les troupeaux.
Espoirs jetés au vent sur la terre rouge des Four Corners.
Poussières noires sur l’histoire de notre peuple, ombres monstrueuses au-dessus des grands canyons.
Mémoire sauvée du Grand Ouest.
Je suis de ce peuple, je porte cette histoire.

Avec des cadeaux, de l’alcool et du tabac, les Blancs parviennent à tourner la tête d’une partie du clan. Mais les anciens, les « nés de semences perdues » et quelques valeureux indiens refusent les propositions malhonnêtes du BIA.

Ils avaient rendu nos terres infertiles, foré la montagne comme ils avaient fouaillé le ventre des plus belles femmes de notre clan.

Leurs hogans (habitations) sont détruites pour construire une route permettant de faire circuler les camions de la Black Soul Coal Company, chargés des trésors de la terre des indiens.
Le chef Always, Hokee, Gini et Doli, Gad et Kilchii partent sur la route vers Moab, une autre ville de l’Ouest américain. Mais là non plus ils ne sont pas les bienvenus . Ils habiteront cinq ans dans des grottes. Jusqu’à se rapprocher du seul travail possible, pour les mines d’uranium de la Black Soul Coal Company!

Un récit documenté, une langue incantatoire

Catherine Gucher nous plonge dans la culture, l’esprit navajo. Son récit dėploie les rites et légendes d’une tribu indienne et résume parfaitement la spoliation des terres indiennes et l’anéantissement d’un peuple. Toujours attentive à l’environnement, elle sait décrire une nature si chère au coeur des indiens.

La voix de cette jeune indienne, souillée par un sang étranger, porte la grandeur de ce roman.  Elle clame ce langage imagé des indiens, utilisant la langue de la terre, de la nature pour décrire les activités des Blancs.

D’abord  Hokee, une enfant isolée, mise au ban de la tribu sous la bienveillance de ses chefs, elle deviendra Fille du vent lorsqu’elle atteint l’âge de réintégrer son camp puis June quand elle travaillera au dispensaire de Moab. Mais au fond d’elle-même, elle sera toujours la même. Celle qui défend et honore son peuple et celle qui porte en elle la possibilité d’une vengeance.

Je porte en moi les combats des ancêtres.

Et cette force, cette origine, nous la ressentons dans chaque phrase.

Les mots que nous échangeons avec Spring ne sont plus ceux de notre peuple, même s’il en reste quelques-uns qui disent encore ceux que nous sommes, malgré la longue marche qui nous a menés jusqu’ici. Ces mots sont ceux des Blancs, ceux que nous lisons dans les livres, ceux que nous partageons avec Davis, Pearl, et l’avocat de Kilchii. Avec lui, je continue comme avant parce qu’il ne comprendrait pas et qu’il serait furieux de me voir convertie à ce langage qu’il trouve vide parce qu’il ne contient pas la force de la terre, parce qu’il ne laisse pas entendre le cridu coyote et des autres animaux du désert, parce qu’avec ces mots-là on ne sent pas dans sa chair la morsure et les coups de griffes.

Pourquoi je recommande ce roman

Catherine Gucher donne à cette réalité brutale de l’histoire des États-Unis une dimension épique et sensible grâce à la grandeur et l’humanité de son personnage principal. Une humanité qui va jusqu’à me décevoir dans sa confrontation ultime avec son pire ennemi. J’aurais aimé plus de force, de rage dans ce face à face. Toutefois, June n’a pas la sauvagerie de Kilchii, son frère d’arme ou la folie de Doli. Mais ce point ne saurait remettre en cause mon coup de coeur pour ce roman.

Car l’auteur n’oublie aucun détail. Au-delà des morts, par les armes ou l’alcool, c’est toute une culture qui disparaît. Les enfants nés dans les réserves, américanisés ne connaissent plus les rites funéraires de leur peuple.

Heureusement, elle laisse aussi une voie vers l’espoir en commençant et terminant son roman avec le rappel de la nomination de Deb Haaland, une femme amérindienne, à la tête d’un ministère chargé des territoires et des ressources naturelles aux Etats-Unis. Puis de Wahleah Johns, une femme navajo, au poste de directrice du bureau de la politique et des programmes énergétiques indiens du Département de l’énergie des Etats-Unis.

Découvrez mon interview de Catherine Gucher sur Unidivers

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

20 mai 2022 à 14 h 52 min

Tu me donnes envie de découvrir cette langue incantatoire.



22 mai 2022 à 10 h 38 min

Envie de lire ce livre car le destin tragique sur lequel se fonde ce grand pays dit démocratique m’obsède !



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