Titre : Le cantique des lionnes
Auteur : Karthika Naïr
Littérature indienne
Titre original : Until the lions
Traducteur : Claro, Simone Manceau, Bernard Turle, Dominique Vitalyos, Laëtitia Zecchini
Illustration : Joëlle Jolivet
Editeur : Le Nouvel Attila
Nombre de pages : 320
Date de parution : 26 avril 2024

 

Inspiré du Mahabharata

Karthika Naïr s’inspire d’un épisode du Mahabharata pour écrire ce cantique. Le Mahabharata est le récit du conflit fratricide qui oppose les deux clans d’une même famille, les Kaurava et les Pandava. Ils sont tous deux issus du roi Kuru, de son fils Shantanu et de sa femme Satyavati.
En appliquant une maxime de Chinua Achebe, Karthika Naïr veut se faire l’écho des vaincus. Dans ce récit polyphonique, Styavati est le fil rouge mais elle est entourée d’une vingtaine de narrateurs, surtout des femmes.

Satyavati fut conçue dans le ventre d’un poisson. Son père biologique, le roi de Chedi la rejette. Elle est élevée par un pêcheur. Considérée de caste inférieure, elle grandit dans la puanteur et la misère. Elle s’offre à Parashara, un vieil ascète aux pouvoirs surnaturels, en échange des dons de beauté, de parfum irrésistible et de la promesse d’un mariage royal. De cette première union naquit Vyaasa qui sera l’auteur du Mahabharata. Elle épouse ensuite comme promis le roi Shantanu, fils de Kuru.
Shantanu a déjà un fils, Bhishma. Satyavati voulant imposer sa descendance lui demandera de faire voeu de célibat. Elle assure ainsi un royaume à ses fils, Chitrangada et Vichitravirya. Mais le premier meurt et le second refuse la charge. Ce qui ne fait pas les affaires de Satyavati qui oeuvrera avec Bhishma pour contraindre Vichitravirya a une descendance royale.

Les femmes, premières victimes

Le roman relate toutes les manigances de Satyavati afin d’assurer la postérité de son royaume.

L’étau du pouvoir paternel aura
raison de tout, et les mères pleureront
des larmes de pierre. Grise, la nuit, gris,
gris le pelage de la terre, gris
notre sang. Et nous rejouons nos fautes.

Avec Bhishma, son homme de main sanguinaire, Satyavati contraint de pauvres princesses à copuler avec les fils puants du royaume. Alors qu’elle aurait dû protéger les femmes, elles les sacrifient pour une postérité. Les femmes sont souvent les premières victimes des guerres.

Jamais je n’aurais dû demander à Vyaasa d’inséminer les femmes de son frère : là se trouve peut-être la ligne de faille qui bouleversa tant de vies.

C’est un récit de pouvoir. Et on ne peut faire la guerre sans perdre une partie de son humanité. Mort, massacres et viols au nom d’une lignée. La haine envahit le coeur des descendants.

Un roman protéiforme

Le cantique des lionnes est un roman difficile à lire par son sujet mais aussi par sa forme. Les textes narratifs de Satyavati, imprimés en rouge, sont simples et concrets. Ils reformulent facilement le cours de l’histoire de cette famille.
Mais elle est entourée de témoignages d’autres femmes, soit en vers, en prose, en calligrammes . Elles sont dix-huit à donner leur point de vue avec ferveur et violence.
Outre l’évocation d’un texte fondateur de l’Inde et la truculence de grandes épopées, l’auteur glisse quelques réflexions intemporelles sur le patriarcat, l’éducation, la soif de pouvoir. Que retenons-nous des textes fondateurs de nos sociétés ?

Le livre commence par un proverbe que Chinua Achebe aimait à citer et il se termine par une phrase essentielle.

Le monde est un masque qui danse. Pour bien le voir, il ne faut pas rester à la même place.

Les écrivains nous offrent un autre moyen d’habiter le monde. Cette sauvagerie engendrée par la soif de pouvoir, cette ligne de faille à ne plus franchir pour installer son royaume nous alertent sur les souffrances collatérales des peuples et notamment des femmes et des enfants.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

16 mai 2024 à 13 h 01 min

Les écrivains nous offrent un autre moyen d’habiter le monde : quel très beau constat.



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