Titre : Lèvres de pierre
Auteur : Nancy Huston
Littérature canadienne
Editeur : Actes Sud
Nombre de pages : 240
Date de parution : août 2018

 

« Qu’avais-je  à dire, moi, Blanche et bobo, citoyenne de deux grandes puissances occidentales, au sujet de ce petit pays si violemment étranger à l’autre bout du monde?»

C’est lors d’un voyage en 2008 au Cambodge que Nancy Huston est particulièrement attentive aux traces du génocide khmer rouge. Elle décèle que le légendaire sourire des khmers n’est qu’un masque servant à protéger l’intimité de qui le porte. Ne s’est-elle pas elle même composée ce sourire de lèvres de pierre pour cacher les blessures de son passé. De ce constat naît un parallèle entre Saloth Sâr, celui que prendra le surnom de Pol Pot et Nancy sous le pseudonyme de Dorrit, son double littéraire depuis Bad girl.

Nancy Huston fait émerger des points communs entre leurs enfances ( cauchemars, déménagements fréquents, insécurité lors de la scolarisation).

« Deux enfants dévorés d’abord par la peur puis par la rage. »

Le parallèle n’est pas aussi évident. D’ailleurs, Nancy Huston compose son récit en deux parties bien tranchées. Nous commençons avec le chemin de Saloth Sâr depuis son enfance jusqu’à ce qu’il devienne Pol Pot. L’auteur met en évidence ce qui dans l’enfance et l’adolescence a éveillé la conscience politique du futur dirigeant. Ses expériences positives au monastère et sur les chantiers le rapprochent du bouddhisme et du travail manuel et agricole. Ses piètres résultats scolaires lui vouent une haine des intellectuels. Quand il part étudier à Paris, il adhère au parti communiste.

« Tu as vingt-sept ans et la drogue révolutionnaire s’est emparée de tout ton être. »

A son retour au Cambodge, il rejoint le chef khmer, cousin rebelle du roi Sihanouk, dans le maquis à la frontière du Vietnam.

Le chemin de Dorrit vers la conscience politique et féministe fut beaucoup plus long, moins évident. Sa première souffrance fut le divorce de ses parents et le depart de sa mère. Kenneth, son père idéaliste, instable et volage se remarie avec une catholique allemande. La famille recomposée  déménage dans le New Hampshire.

Précoce, jolie, sa vie de femme commence très tôt avec Adam, un ami de son père. Ses expériences sexuelles et la vie de son père sont autant d’exemples qui mettent en évidence la condition féminine.

« Amoureuse, une femme doit laver de ses larmes les marches que gravira son homme pour atteindre la gloire

Malgré les nombreuses atteintes à son corps de femme, malgré les événements politiques du Cambodge que Nancy Huston insèrent dans le fil de vie de Dorrit, la jeune femme peine à réagir. Toujours dans le doute, elle retourne sa colère contre son propre corps.

Ce n’est qu’à Paris, peut-être sous l’influence de Gérard, un militant marxiste léniniste qu’elle entrevoit la contestation malgré son éducation et sa passion pour le clavecin. Elève puis femme brillante, c’est bien sûr par l’écriture, par ses articles dans les revues féministes puis par la parution de son premier essai que Dorrit se révèle enfin.

Le symbole des lèvres de pierre est assurément le lien entre ces deux parcours. Afficher un sourire de circonstance pour cacher les blessures de l’enfance et de l’adolescence. S’effacer pour continuer à vivre et trouver une voie pour enfin s’imposer, s’affranchir du manque, de la peur et du doute.

Nancy Huston, avec son style incomparable de conteuse, traite ici à la fois d’un sujet historique peu courant en se consacrant surtout aux pensées profondes de ses personnages. Un duo gagnant pour moi!

Je remercie Ingannmic de m’avoir accompagnée pour cette lecture commune. Son avis est ici.

Auteur

contact@surlaroutedejostein.fr

Commentaires

27 février 2020 à 11 h 23 min

Excellent ton billet, synthétique et pourtant complet et surtout complètement cohérent avec l’essence de ce récit..
Bien que dubitative quant à la démarche de l’auteure, j’ai aimé, ne serait-ce que pour l’écriture de Nancy Huston, dont je ne me lasse pas..



28 février 2020 à 12 h 46 min

Une lecture qui m’avait beaucoup plu. Et ces lèvres de pierres….



28 février 2020 à 12 h 48 min

C’est une de mes autrices préférées… 🙂 même si je n’ai pas adhéré au livre « Le club des miracles relatifs »



28 février 2020 à 21 h 26 min

Je n’ai pas lu cette auteure depuis longtemps…



Ariane daphné
28 février 2020 à 22 h 12 min

Oh, je le lirai bien, ton billet me donne bien envie de me plonger dans ce livre.
Daphné



8 mars 2020 à 19 h 25 min

Malgré ton enthousiasme… je ne sais pas, j’hésite. Je suis parfois lasse de l’autofiction…



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